Existe-t-il un droit à recevoir l’Eucharistie ?
15 novembre, 2020   //   Par :   //   a chaud, eglise, droit canonique   //   3 commentaires   //   8950 Vues

Ces derniers jours, le débat est vif autour de cette question « y a-t-il un droit à l’eucharistie ? » et plus largement, un droit aux sacrements. Si la question se pose in utroque iure, c’est-à-dire dans les deux droits qui nous occupent à savoir le droit français (auquel il faudrait ajouter le droit européen) et le droit canonique, je voudrai apporter une réponse en droit canonique déjà, laissant à d’autres le soin et l’opportunité de juger de la légitimité du droit français et européen sur ces questions.

 À la question en droit canonique de savoir s’il y a un droit à recevoir les sacrements, il faut répondre, au départ, par l’affirmative avec force et netteté tout comme le législateur canonique. Deux canons du code de droit canonique de 1983 sont très clairs. Le canon 213 établit avec fermeté que « les fidèles ont le droit de recevoir de la part des Pasteurs sacrés l’aide provenant des biens spirituels de l’Église, surtout de la parole de Dieu et des sacrements. ». Et le canon 912, dans la partie du Code sur l’eucharistie vient affirmer quant à lui que « tout baptisé qui n’en est pas empêché par le droit peut et doit être admis à la sainte communion. »

Cette affirmation est dans la droite ligne de la tradition jusqu’au dernier concile

Le canon 682 du Code de 1917 était lui aussi très clair sur ce sujet en se focalisant particulièrement sur les « laïcs (qui) ont le droit de recevoir du clergé, conformément à la discipline ecclésiastique, les biens spirituels et surtout les secours nécessaires au salut »). Le Concile Vatican II a repris cette « tradition » en affirmant dans la constitution Lumen Gentium, au n°37 que « les laïcs ont le droit de recevoir en abondance des pasteurs sacrés les ressources qui viennent des trésors spirituels de l’Église, en particulier les secours de la Parole de Dieu et des sacrements ». Plus récemment encore, c’est le pape Benoît XVI qui rappelait dans son exhortation apostolique Sacramentum caritatis sur l’Eucharistie en 2007, que « les pasteurs ne manqueront jamais de soutenir, d’éduquer et d’encourager les fidèles laïcs à vivre pleinement leur vocation à la sainteté dans le monde, que Dieu a tant aimé jusqu’à donner son Fils pour qu’il en devienne le salut (cf. Jn 3, 16) » (n°79). Enfin, même le rituel de l’eucharistie en dehors de la messe dit explicitement, dans ses notes pastorales, que « les prêtres ne refuseront pas de distribuer la communion, même en dehors de la messe, aux fidèles qui le demandent pour un juste motif » (n°14b).

Le Magistère, les textes liturgiques et le Code actuellement en vigueur, qu’on le veuille ou non, parlent donc très nettement d’un droit de tous les fidèles (et pas simplement des laïcs) aux « biens spirituels de l’Église, surtout de la parole de Dieu et des sacrements », avec une insistance sur la Parole de Dieu et les sacrements. Le lecteur pourra convenir avec moi que la réponse à notre question est donc on ne peut plus claire, contrairement à ce que j’ai lu ici ou là. 

Mais est-ce aussi simple ?

Bien évidemment, on peut aisément comprendre la place que tiennent, parmi les biens spirituels et le trésor spirituel de l’Église, la Parole de Dieu et les sacrements, qui sont essentiels pour notre vie chrétienne. Cela implique donc en retour un véritable devoir de la part des pasteurs (et évidemment en premier lieu ceux qui ont reçu la charge d’âme dans des missions spécifiques). Au passage, notons d’ailleurs que l’on rejoint ici, comme le disait l’un de mes professeurs de droit canonique, le père Toxé, « la conception diaconale de l’autorité et la raison du ministère ordonné dans l’Église, qui est de prêcher, sanctifier et gouverner ». Le canon 213 vient d’ailleurs fonder le devoir de l’autorité ecclésiastique d’y répondre par des structures adaptées auxquelles les fidèles pourront s’agréger : paroisses, mais aussi des institutions spéciales pour une prise en charge pastorale adaptée à certaines catégories de fidèles, comme avec les aumôneries. Mais lorsque l’on réfléchit à l’autorité comme service, comme diaconie, on devrait également et mieux se pencher sur les droits des fidèles pour bien comprendre comment nous sommes à leur service : cette clef de lecture me semble essentielle. Bref.

Mais il est également important de comprendre que le canon 213 s’enracine dans l’obligation faite à tous les fidèles de vivre une vie sainte, en accord avec son état de vie et son rite (la question des rites dans l’Église catholique ne peut être développée ici). Cela signifie que ce canon s’enracine dans une relation étroite entre l’engagement de mener une vie sainte (obligation faite par le canon 210 qui précède ce droit aux sacrements) et l’obligation d’y répondre par le don de la Parole de Dieu et des sacrements. Autrement dit, pour être honnête, met-on autant de force à revendiquer l’eucharistie comme un droit qu’à mener une vie sainte ? Je n’ai pas à juger de la réponse de chacun, évidemment, mais la question se pose à chacun d’entre nous.

Le canon 213 doit aussi être éclairé pour d’autres droits et devoirs établis dans le Code. On ne lit jamais un canon isolément, au risque de se méprendre sur son contenu. Certes, le canon 912 établit, comme nous l’avons cité précédemment, que « tout baptisé qui n’en est pas empêché par le droit peut et doit être admis à la sainte communion », ce qui signifie que les pasteurs sont obligés de les leur donner, chaque fois qu’un fidèle le demande de manière juste et opportune, « sauf si l’existence d’un quelconque obstacle est évidente au for externe » (cf. le canon 915). Le canon 843 le dit aussi très explicitement en son §1 : « Les ministres sacrés ne peuvent pas refuser les sacrements aux personnes qui les leur demandent opportunément, sont dûment disposées et ne sont pas empêchées par le droit de les recevoir. »Ainsi, à la suite de ce canon 843, plusieurs canons du Code de 1983 définissent et traitent non seulement de cette « opportunité » et aussi des conditions d’accès aux sacrements et à la Parole de Dieu. Il y a donc des conditions que le fidèle doit remplir (tiens, encore des « devoirs » au regard de ce droit) pour recevoir les sacrements afin que cela soit un devoir pour le pasteur de les lui donner. Et c’est bien dans ce sens que le législateur pose les choses : on part des devoirs des fidèles pour répondre à ces conditions, afin d’être dans son « bon droit » de les recevoir. Et ces conditions sont de deux ordres : des conditions internes aux fidèles et des conditions externes aux fidèles.

Des conditions internes aux fidèles et des conditions externes aux fidèles

S’agissante des dispositions internes, il faut aller lire le canon 916 que, bizarrement, nous n’aimons pas relire : « qui a conscience d’être en état de péché grave ne célèbrera pas la Messe ni ne communiera au Corps du Seigneur sans recourir auparavant à la confession sacramentelle, à moins d’un motif grave et qu’il ne soit dans l’impossibilité de se confesser ; en ce cas, il n’oubliera pas qu’il est tenu par l’obligation de faire un acte de contrition parfaite, qui inclut la résolution de se confesser au plus tôt. » Ainsi, s’il y a un droit à recevoir l’eucharistie, il y a aussi un devoir de se confesser afin de recevoir celle-ci, lorsque l’on a conscience d’avoir commis un péché grave. Autrement dit, pour être honnête et pour reprendre le fil de nos questions, met-on autant de force à revendiquer l’eucharistie comme un droit qu’à venir se confesser ? 

Mais le législateur traite également des conditions externes. Le canon 1248 §2 établit, je cite : « si, faute de ministre sacré ou pour toute autre cause grave, la participation à la célébration eucharistique est impossible, il est vivement recommandé que les fidèles participent à la liturgie de la Parole s’il y en a une dans l’église paroissiale ou dans un autre lieu sacré, célébrée selon les dispositions prises par l’Évêque diocésain, ou bien s’adonnent à la prière pendant un temps convenable, seul ou en famille, ou, selon l’occasion, en groupes de familles. » On rejoint ici aussi la question de la juste opportunité, selon les termes du canon 843.

On le comprend donc aisément : le législateur sait qu’il y a des situations où l’obligation et le droit de participer à la messe cesse, et sans qu’il y ait d’obligation de remplacer l’assistance à la messe par autre chose, évidemment, puisque le canon 1248 §2 évoque la recommandation  aux fidèles de « remplacer » la messe mais non pas une obligation. Ces conditions externes sont évoquées : l’absence de ministre sacré ou toute autre cause grave. Ainsi, de la même manière que lors du premier confinement, on peut tout à fait considérer qu’en cette période de pandémie où les ministres du culte sont empêchés de célébrer publiquement (et encore une fois, quelle que soit la légitimité de la décision française), étant entendu que nous pouvons aussi considérer que nous sommes dans une « cause grave », l’obligation et le droit de recevoir l’eucharistie sont donc à nuancer fortement. Mais autrement dit, pour être honnête et pour reprendre le fil de nos questions, met-on autant de force à revendiquer l’eucharistie comme un droit qu’à sanctifier nos dimanches confinés par « la prière pendant un temps convenable, seul ou en famille, ou, selon l’occasion, en groupes de familles », selon les termes du canon 1248 ?

Ainsi, on voit bien que la réponse à notre question de départ n’est plus si aisée à discerner et que, comme souvent, il ne suffit pas d’interroger la légalité de la loi, mais aussi la réponse adéquate que nous lui donnons.

Père Cédric Burgun

3 commentaires pour “Existe-t-il un droit à recevoir l’Eucharistie ?”
  • ORDIN
    15 novembre 2020 -

    Merci Père Cédric pour ces commentaires. Je viens de suivre sur CNews le débdu at religieux à propos du blasphème … débat intéressant et compliqué. J’aimerai revenir sur le texte concernant l’interdiction du fait religieux par Aline LIZOTTE (SRP) que j’ai trouvé très juste; Mais aussi en ce qui concerne le pêché ontre l’Esprit et ce qu’en disant le Père Gaston FESSARD sj concluant même en disant que la reconnaissance de la pratique homosexuelle collective et officialisé par l’Etat constituait quasi un péché contre l’esprit (cf l’épitreaul aux Romains (Paul)

  • Olivier
    15 novembre 2020 -

    Dont acte.
    Le moment opportun est donc de mettre en avant le « devoir de se confesser ».

    Sacrement essentiel ô combien ignoré voire oublié de beaucoup de catholiques, c’est l’occasion de le mettre en avant, de redécouvrir la vérité sur nous-même en se réconciliant avec Dieu.

    Mettre en avant la confession, c’est renforcer et légitimer d’autant plus la communion.

    Aux évêques de France d’insuffler ce grand mouvement de pénitence en ouvrant les églises pour la confession, en attendant le retour de la messe !

  • Davin
    17 novembre 2020 -

    Merci beaucoup pour votre article. Je le trouve très riche d’enseignement, et il recadre bien les choses, dans la droite ligne de Fides et Ratio ce me semble.
    Du coup je l’ai proposé en ligne sur le site de la paroisse!