« Le devoir de rappeler l’importance de la responsabilité de l’Europe »
25 novembre, 2014   //   Par :   //   a chaud, schuman, europe   //   Les commentaires sont fermés.   //   4826 Vues

(Morceaux choisis …)

L’événement important de la visite du Pape François au Parlement européen tout d’abord, puis au Conseil de l’Europe, a été fortement suivi, ce qui monter l’intérêt, y compris « politique », face à la parole du Pape François. Quoi qu’en disent certains, comment ne pas écouter cet homme sage qui vient interpeler les politiques ? Comment ne pas entendre, selon ses propos mots, que sa « contribution n’est pas un danger pour la laïcité des États ni pour l’indépendance des institutions de l’Union, mais au contraire un enrichissement » et que ce partage mutuel, refusé par certains, constitue en fait un enrichissement attendu pour servir « les idéaux qui l’ont formée dès l’origine le montrent bien: la paix, la subsidiarité et la solidarité réciproque, un humanisme centré sur le respect de la dignité de la personne ».

D’ailleurs, il insiste sur « l’apport que le christianisme peut fournir aujourd’hui au développement culturel et social européen dans le cadre d’une relation correcte entre religion et société. Dans la vision chrétienne, raison et foi, religion et société sont appelées à s’éclairer réciproquement, en se soutenant mutuellement et, si nécessaire, en se purifiant les unes les autres des extrémismes idéologiques dans lesquelles elles peuvent tomber. La société européenne tout entière ne peut que tirer profit d’un lien renouvelé entre les deux domaines, soit pour faire face à un fondamentalisme religieux qui est surtout ennemi de Dieu, soit pour remédier à une raison « réduite », qui ne fait pas honneur à l’homme. »

Le Pape a tout d’abord interpelé sur le projet européen : celui-ci est-il aujourd’hui vide de sens ? Faut-il rappeler la dernière campagne des élections européennes avec son lot d’eurosceptisme ? Si l’Europe paraît aujourd’hui vide de sens, vide de projets, vide de convictions, à l’image de ces grands partis politiques qui ne savent plus quoi inventer pour intéresser cet homoindividualicus qui se complaît souvent, semble-t-il, dans le désintéressement du bien commun, le Pape François a voulu crier haut et fort à cette vieille dame endormie : « À l’Europe, nous pouvons demander : où est ta vigueur ? Où est cette tension vers un idéal qui a animé ton histoire et l’a rendue grande? Où est ton esprit d’entreprise et de curiosité ? Où est ta soif de vérité, que jusqu’à présent tu as communiquée au monde avec passion ? »

Pour le Pape, « l’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables ; l’Europe qui embrasse avec courage son passé et regarde avec confiance son avenir pour vivre pleinement et avec espérance son présent. Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même, pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste, porteuse de science, d’art, de musique, de valeurs humaines et aussi de foi. L’Europe qui contemple le ciel et poursuit des idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe qui chemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toute l’humanité. »

Oui, l’Europe est aujourd’hui fatiguée et malade, nous a-t-il dit. En mal d’espérance et d’encouragement : « je désire adresser à tous les citoyens européens un message d’espérance et d’encouragement. Un message d’espérance fondé sur la confiance que les difficultés peuvent devenir des promotrices puissantes d’unité, pour vaincre toutes les peurs que l’Europe – avec le monde entier – est en train de traverser. » Et le pape d’être bien conscient de cette crise que nous traversons.

Convaincu que « l’Europe a fortement besoin de redécouvrir son visage pour grandir, selon l’esprit de ses Pères fondateurs, dans la paix et dans la concorde, puisqu’elle-même n’est pas encore à l’abri de conflits », le Pape a voulu interpeler le « risque » de cette paix aujourd’hui acquise en Europe occidentale : qu’en faisons-nous ? Si les fondements d’une paix véritable ont été posés par les pères fondateurs, le Pape a demandé aux parlementaires de réagir puisqu’ « on peut constater qu’au cours des dernières années, à côté du processus d’élargissement de l’Union Européenne, s’est accrue la méfiance des citoyens vis-à-vis des institutions considérées comme distantes, occupées à établir des règles perçues comme éloignées de la sensibilité des peuples particuliers, sinon complètement nuisibles. D’un peu partout on a une impression générale de fatigue et de vieillissement, d’une Europe grand-mère et non plus féconde et vivante. Par conséquent, les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive, en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions. »

C’est ainsi que le Pape François a dénoncé, avec toute la vigueur et la nuance diplomatique nécessaire, cette paix mais aussi « cette opulence » des peuples européens qui peuvent contenir le risque d’être vécue comme un individualisme. Par exemple, il a dénoncé, tout en nuance, l’individualisme du consumérisme, le manque de solidarité, la bureaucratie, qui réduisent hommes et femmes « à des maillons d’un engrenage qui les traitent en objets de consommation », ou encore l’avortement et de l’euthanasie, qui abandonnent toujours plus l’homme : « le cas de personnes en phase terminale, des vieux qui sont abandonnés et laissés sans soin, des enfants qui sont tués dans le ventre de la mère ».

« Il convient de faire attention, a-t-il encore rappelé, pour ne pas tomber dans des équivoques qui peuvent naître d’un malentendu sur le concept de droits humains et de leur abus paradoxal. Il y a en effet aujourd’hui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade », toujours plus insensible aux autres « monades » présentes autour de soi. Au concept de droit, celui – aussi essentiel et complémentaire – de devoir, ne semble plus associé, de sorte qu’on finit par affirmer les droits individuels sans tenir compte que tout être humain est lié à un contexte social dans lequel ses droits et devoirs sont connexes à ceux des autres et au bien commun de la société elle-même. »

Or, pour le Souverain Pontife, « il est plus que jamais vital d’approfondir aujourd’hui une culture des droits humains qui puisse sagement relier la dimension individuelle, ou mieux, personnelle, à celle de bien commun, de ce « nous-tous » formé d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui s’unissent en communauté sociale. En effet, si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences. »

Si la paix ne doit pas être vécue comme une absence de guerre, elle doit l’être comme une mise en commun et une vie fraternelle : « une des maladies que je vois la plus répandue aujourd’hui en Europe est la solitude, précisément de celui qui est privé de liens. On la voit particulièrement chez les personnes âgées, souvent abandonnées à leur destin, comme aussi chez les jeunes privés de points de référence et d’opportunités pour l’avenir ; on la voit chez les nombreux pauvres qui peuplent nos villes ; on la voit dans le regard perdu des migrants qui sont venus ici en recherche d’un avenir meilleur. (…) A cela s’ajoutent des styles de vie un peu égoïstes, caractérisés par une opulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres. »

Nos sociétés occidentales ne se sont-elles pas enfermées dans un individualisme croissant et confortable ? Cette question a le mérite d’être posée clairement par le Pape : « cependant, la paix n’est pas la simple absence de guerres, de conflits et de tensions. Dans la vision chrétienne, elle est, en même temps, don de Dieu et fruit de l’action libre et raisonnable de l’homme qui entend poursuivre le bien commun dans la vérité et dans l’amour. « Cet ordre rationnel et moral s’appuie précisément sur la décision de la conscience des êtres humains à la recherche de l’harmonie dans leurs rapports réciproques, dans le respect de la justice pour tous ». Comment donc poursuivre l’objectif ambitieux de la paix ? »

L’Europe doit être, comme l’ont voulu ses pères fondateurs, une école des « solidarités de fait » par des « réalisations concrètes » (R. Schuman). Cette concrétisation de l’enjeu européen a été rappelée ce mardi 25 novembre à Strasbourg : « un tronc sans racines peut continuer d’avoir une apparence de vie, mais à l’intérieur il se vide et meurt. L’Europe doit réfléchir pour savoir si son immense patrimoine humain, artistique, technique, social, politique, économique et religieux est un simple héritage de musée du passé, ou bien si elle est encore capable d’inspirer la culture et d’ouvrir ses trésors à l’humanité entière. Dans la réponse à cette interrogation, le Conseil de l’Europe avec ses institutions a un rôle de première importance. Je pense particulièrement au rôle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui constitue en quelque sorte la ‘‘conscience’’ de l’Europe pour le respect des droits humains. Je souhaite que cette conscience murisse toujours plus, non par un simple consensus entre les parties, mais comme fruit de la tension vers ces racines profondes, qui constituent les fondements sur lesquels les Pères fondateurs de l’Europe contemporaine ont choisi de construire. Avec les racines – qu’il faut chercher, trouver et maintenir vivantes par l’exercice quotidien de la mémoire, puisqu’elles constituent le patrimoine génétique de l’Europe – il y a les défis actuels du continent qui nous obligent à une créativité continue, pour que ces racines soient fécondes aujourd’hui et se projettent vers des utopies de l’avenir. » 

Père Cédric Burgun

 

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