Mariage civil, mariage religieux : le divorce ?
4 mai, 2013   //   Par :   //   eglise, droit canonique, interview, societe / culture   //   4 commentaires   //   10443 Vues

603810_CV1_FC-72dpiJe publie ici, avec leur aimable accord, une interview donnée à Famille Chrétienne avec le philosophe Thibault Collin sur les conséquences du « mariage pour tous ». En niant la loi naturelle, le « mariage » homosexuel bouleverse l’institution républicaine du mariage. Dès lors, comment les catholiques pourraient-ils obéir à leur conscience sans déroger à la loi ?  (Texte publié dans Famille Chrétienne n° 1838 du 6 au 12 avril 2013).

Le premier est canoniste, le second est philosophe. Issus de la même génération, le Père Cédric Burgun et Thibaud Collin sont confrontés à une situation inédite avec le projet de loi Taubira. Si demain le «mariage» homosexuel change la nature du mariage tout court, comment justifier cette obligation bien française de passer à la mairie avant de s’unir à l’église ? Les parlementaires en parlent déjà entre eux (cf. plus bas), tout comme les évêques. Certes, le sujet n’est pas officiel. Mais tous savent que la question pourrait se poser plus vite que prévu. L’Église ne pourrait plus reconnaître dans le nouveau mariage civil un mariage naturel ; l’État aura du mal à imposer ses vues à l’Église catholique après avoir modifié les règles du jeu. On ne «joue » pas avec le mariage, justement. Dissocier mariage civil et mariage religieux serait une révolution qui nous mènerait dans l’inconnu. Changer de système paraît très difficile tellement les catholiques ont intégré cette contrainte de la République. Comment l’Église pourrait-elle reprendre sa liberté par rapport au mariage civil après avoir défendu bec et ongles cette institution ? Les raisons d’un possible divorce entre mariage religieux et mariage civil sont réelles. Pourtant, il n’existe pas aujourd’hui d’alternative crédible. Déjà certains fiancés s’interrogent pour savoir comment obéir à leur conscience sans déroger à la loi. Poser cet épineux problème – sans prétendre le résoudre -, c’est tout le mérite et le courage de cet échange nourri entre Thibaut Collin et le Père Burgun. • Samuel Pruvot.

Pourquoi la réforme Taubira remettrait- elle en cause l’équilibre actuel entre le mariage civil et le mariage religieux ?

Le Père Cédric Burgun – Jusqu’à présent il y avait un consensus paisible entre l’État et l’Église catholique, parce que nous étions d’accord sur la conception du mariage. L’Église reconnaissait le mariage civil comme naturel parce qu’il impliquait l’indissolubilité, la fidélité et l’ouverture à la vie. Avec le « mariage pour tous», le mariage civil s’éloignerait de plus en plus de ses piliers naturels. Il met entre parenthèses la différence des sexes et l’ouverture à la vie. On passe d’une vision communautaire du mariage à une vision totalement individualiste. Or, le mariage naturel n’est pas un contrat dans lequel on met ce que l’on veut ! Cela pose deux questions. Premièrement, l’État pourrait-il encore légitimement obliger des gens à se marier civilement (avant tout mariage religieux) alors même qu’il prône une loi de liberté ? Deuxièmement, qu’en serait-il de la reconnaissance par l’Église de la validité d’un tel mariage ? À mon avis, la question mérite d’être clairement posée. Et la réponse n’est pas aussi simple qu’on le pense.

En quoi le «mariage» homosexuel ferait-il muter l’institution républicaine du mariage ?

Thibaud Collin – L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe le transformerait de fond en comble. On quitte le réfèrent naturel qui était jusqu’ici au fondement de l’articulation entre conjugalité et filiation. Par quoi ce réfèrent est-il remplacé ? Par la volonté humaine. Dès lors, pourquoi, par exemple, continuer à maintenir la monogamie ? Par conformisme ou par arbitraire. Le mariage n’a plus rien d’institutionnel. Certes, c’est dans une logique institutionnelle que les personnes de même sexe veulent avoir accès au mariage. Ce pourquoi elles refusent la simple « union civile »… Mais accéder à cette demande, c’est précisément supprimer la notion d’institution. Le projet de loi Taubira mène ainsi à une contractualisation de la vie familiale. Ce qui va engendrer une augmentation des injustices et des conflits.

P.C.B. – La loi, qui dit le droit, est faite pour être stable. L’institution du mariage constitue un pilier de la société. Avec cette individualisation du mariage, le gouvernement va le fragiliser encore plus : il ne va dépendre que de la seule volonté des deux époux, et non plus de la stabilité de la loi. Celle-ci avait déjà été fragilisée par le divorce ; là, c’est une étape supplémentaire, et quelle étape ! 

Ce serait la fin du mariage civil ?

T.C. – L’institution ne peut pas être tenue à bout de bras par l’État, ce serait du pur volontarisme. Il existe un « ordre des choses », accessible à la raison, qui ne dépend pas de la seule volonté humaine, ou de la seule volonté du législateur. En ce qui concerne le mariage, cet ordre est inscrit dans ce que sont l’homme et la femme. Or l’État moderne est de plus en plus dans une vision « artificialiste» : il prétend bâtir un ordre humain qui serait variable selon les évolutions historiques.

Qu’est-ce qui favorise ce bouleversement des mentalités ?

T. C. – Ce n’est pas pour rien que la PMA (procréation médicalement assistée) est au cœur du dispositif: on est dans le prolongement logique de la mentalité contraceptive. Par le biais de la technique, on en vient à considérer la vie, et notamment le corps sexué, comme un simple matériau, malléable donc.

P. C. B. Il y a aussi le déni de réalité, jusque dans le droit. Par exemple, dans l’institution du mariage, il y avait la présomption de paternité. Le nouveau mariage apporterait une distorsion : on va aboutir à une présomption de filiation. On présumera par exemple que la deuxième femme dans un couple homosexuel féminin sera la seconde mère des enfants, en niant complètement la réalité.

Quelles pourraient être, à terme, les conséquences pour l’Église et les chrétiens?

T. C. – Aujourd’hui, il faudrait séparer ce qui relève de la sphère privée et de la sphère publique. Mais le Christ nous invite à vivre dans la cohérence, dans l’unité entre la vie et la foi. Cette exigence peut nous conduire jusqu’à la dissidence. Le dissident, c’est celui qui dit : « Le mensonge ne passera pas par moi », celui qui accepte de vivre dans la vérité intégrale de ce qu’est l’homme. Mais cela a forcément un coût, dont il faut avoir conscience…

Des conséquences politiques ?

P.C.B. – L’Église devra avoir le courage de dire que ce mariage civil lui posera désormais problème, non seulement au niveau anthropologique et théologique, mais aussi dans son rapport avec l’État. Elle doit montrer qu’elle est impliquée dans la sphère publique. Et qu’elle n’entend pas céder sa place. Beaucoup de questions vont se poser, la principale étant : qu’en est-il de la reconnaissance du mariage naturel à travers ce nouveau mariage ? (…) Si on ne dit rien maintenant par rapport au mariage civil, la conséquence en sera une sorte d’indifférence réciproque entre l’Église et l’État.

T.C. – Je pense que beaucoup de catholiques français, et peut-être certains évêques, sont dans une forme de légalisme vis-à-vis de l’État. Ils ont intériorisé un mode de laïcité qui leur laisse très peu de marge de manœuvre quant aux implications anthropologiques et sociales de leur foi. Il y a une sorte de « surmoi laïc » qui a besoin d’être transgressé. Certes, revenir sur ce compromis entre l’Église et l’État peut sembler un peu violent. Mais c’est une manière d’objectiver la violence de la réforme !

Si demain le mariage civil se trouvait ainsi dénaturé, que pourrait demander l’Église au gouvernement ?

P.C.B. – Les prêtres et les évêques seront-ils obligés un jour d’entrer en désobéissance civile ? Ne vaudrait-il pas mieux prendre le problème en amont ? Nous pourrions demander au gouvernement de revoir les bases du compromis entre l’Église et l’État. Cette obligation du mariage civil avant le mariage religieux devrait disparaître. Et il serait possible d’imaginer un effet civil au mariage religieux, comme c’est le cas en Italie, en Belgique ou en Allemagne. Tous ceux qui veulent se marier religieusement ne seraient alors plus tenus de se marier civilement. Certaines personnes homosexuelles revendiquent la liberté de se marier civilement ? Nous revendiquerions la même liberté de ne plus nous marier civilement.

T.C. – Si le divorce était ainsi consommé entre le mariage civil et le mariage religieux, ce serait le signe d’une rupture anthropologique entre l’Église et la République, qui pourrait avoir des conséquences dans d’autres domaines. La République pourrait très bien dire à l’Église : « Puisqu’il en est ainsi, prenez en charge l’entretien de toutes vos églises, assumez vos écoles privées et payez vous-mêmes vos professeurs ». Or, rompre le contrat entre le public et le privé entraînerait une affluence de milliers de familles françaises vers le public : 20 % des élèves sont scolarisés dans le privé catholique. L’État serait-il capable d’assumer? 

Pourrait-on vraiment en arriver là ?

T.C. – Encore une fois, sur le plan anthropologique, il existait jusqu’à présent un socle commun entre l’Église et la République. Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas, on le voit très clairement avec le projet de loi Taubira. C’est pourquoi on n’échappera pas à une clarification sur tous ces sujets.

P.C.B. – Et si une telle clarification avait lieu, les familles qui estiment aujourd’hui que l’École catholique n’est pas suffisamment fidèle à son caractère propre pourraient y revenir. Il faut faire attention à ne pas être seulement dans une logique financière. Certes, la situation actuelle d’un Enseignement libre sous contrat avec l’État nous arrange financièrement. Mais il y a aussi une question de vérité derrière tout cela : sommes-nous prêts à conserver le caractère propre de l’Enseignement catholique ?

Les sénateurs en embuscade

Dissocier mariage civil et mariage religieux? Certains sénateurs de l’opposition étudient l’hypothèse. En discussion au Sénat depuis le 4 avril, le «mariage pour tous» suscite des interrogations inédites. « Un contrat tacite a été passé entre l’Église et l’État autour du mariage civil, explique le sénateur UMP Charles Revet (Seine-Maritime). Dès lors que l’État modifie de lui-même le mariage civil, l’Église pourrait reprendre sa liberté… » Président du groupe parlementaire chrétien, qui rassemble une trentaine de sénateurs, Charles Revet n’est pas un boutefeu. Il attire cependant l’attention sur la révolution induite par la loi Taubira. « Le mariage, c’est l’union d’un homme et d’une femme en vue de fonder une famille. Cette définition est universelle, elle n’est pas propre au judéo-christianisme ! » Changer la définition du mariage pourrait avoir des conséquences inattendues : « Au nom de quoi pourra-t-on obliger demain les fiancés catholiques à passer à la mairie avant l’église ? » Idem pour les juifs ou les musulmans. Certains sénateurs, comme Hugues Portelli (Val-d’Oise), estiment que l’actuelle équation mariage civil / mariage religieux va devenir intenable. Il a même rédigé quelques amendements afin d’accorder au mariage religieux des effets civils. Samuel Pruvot.

4 commentaires pour “Mariage civil, mariage religieux : le divorce ?”
  • DOLE Thierry
    4 mai 2013 -

    Approche très juste,ne pas oublier la loi peillon,concernant la théorie du genre
    proposé dans le cadre de l’éducation scolaire ?
    Vous avez tout mon soutien .
    Bien à vous.
    Thierry DOLE

  • Charles Vaugirard
    4 mai 2013 -

    Merci pour la diffusion de ce débat. Il s’agit en effet d’une vraie question. Il est difficile de répondre actuellement dans un sens ou dans l’autre… mais personnellement je pense qu’il faut avoir la liberté de se poser cette question.

    • Cédric
      4 mai 2013 -

      Merci Charles. C’est effectivement dans ce sens : poser une question qui sera ouverte de toute manière et ne pas y réfléchir dans l’urgence.

      • FMJ
        13 mai 2013 -

        Merci pour cet éclairage à deux (que je en qualifierais pas exactement de débat…) qui amène, en effet, au moins trois questions concrètes auxquelles il faudra réfléchir : la monogamie ; les autres interdits, à partir du moment où on est dans un contrat civil et fiscal (quelle durée à l’interdiction du mariage entre le père et son fils, pour des raisons de fiscalité de transmission et de retraite ?) ; et bien sûr le mariage religieux sans mariage civil, mais avec quelles « religions », et donc avec quelles limites (cf la polygamie, tolérée par certaines religions).