À la veille des élections européennes (juin 2009), interview …
1 juin, 2009   //   Par :   //   interview, schuman, europe   //   Les commentaires sont fermés.   //   3912 Vues

À la veille des élections européennes (juin 2009), le Père Burgun, ardent apôtre de la béatification de Robert Schuman, appelle les chrétiens à l’engagement politique. Pour cela, il puise dans la vie du père de l’Europe de quoi secouer les consciences. Propos recueillis, pour Famille Chrétienne, par Maylis Guillier et Samuel Pruvot.

L’abstention risque de battre de nouveaux records lors des élections européennes. Est-ce normal du point de vue chrétien ?

Cédric Burgun : En nous abstenant de voter, nous laissons le champ libre à cette Europe qui part dans tous les sens ! On n’a jamais réussi à donner une direction forte en s’abstenant ! Laisser faire, cela veut dire en clair démissionner. Comment à la fois se plaindre que l’Europe ne va pas dans le bon sens et déserter un scrutin aussi important ? Le Parlement européen est pour l’instant le seul lieu soumis à la démocratie. Les moments où la parole nous est donnée sont rares. Il faut la prendre ! Quand les gens me disent « Mon père, à mon niveau, qu’est ce que je peux faire ? » Je leur demande s’ils connaissent les programmes des députés qui se présentent ? Savez-vous pour qui vous allez voter le 7 juin ? Avez-vous déjà pris le temps d’écrire à votre député européen pour lui dire ce qui ne va pas ? Prenons ce qui nous est offert : le droit de vote, le droit d’expression, le droit d’association.

L’Europe ne fait plus rêver. Pourquoi ?

Beaucoup de Français se posent la question : qu’est-ce que l’Europe m’apporte de fait ? En réagissant de cette manière, nous restons très égoïstes. Martin Luther King disait : « Ne demandez pas d’abord ce que l’État peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous faites pour l’État ! » On devrait transposer la question avec l’Europe ! Elle nous a apporté la paix durant soixante ans et c’est un fruit inestimable. Quel jeune Européen accepterait aujourd’hui de prendre une arme pour défendre son pays ? Nous avons perdu la mémoire. Le peuple chrétien, comme le peuple d’Israël, est un peuple de la mémoire ! L’Europe est née d’une intuition qui a germé chez quelques chrétiens – Schuman, Adenauer, De Gasperri et Monnet – pour sortir le continent européen des conflits. Ils sortaient de deux guerres mondiales ! L’Europe a toujours été en proie aux divisions. Cela remonte au traité de Verdun, en 843, lorsque les fils de Charlemagne se sont partagés le royaume de leur père…

En quoi Robert Schuman a-t-il renversé la perspective ?

Schuman a voulu réconcilier l’Europe. Force est de constater que, depuis soixante ans, l’Europe est en paix ; une paix véritable qui s’est forgée autour de ce qui nous divisait autrefois. À savoir la possession du charbon et de l’acier. C’était à l’époque le nerf de la guerre ! Au sortir de la guerre, l’Allemagne est sous embargo. Interdiction pour elle de relancer ses mines de charbon et ses usines d’acier. Schuman va poser un acte prophétique en réunissant sous une haute autorité – la CECA – ce qui nous divisait.

En quoi son discours du 9 mai 1950 est-il toujours fondateur pour la construction européenne ?

La réconciliation suppose une démarche très concrète. Autrement dit : « On ne fait pas la paix comme des anges ! » Les belles paroles ne suffisent pas. Schuman avait compris que la réconciliation franco-allemande passerait par un acte d’une portée symbolique qui concentre les regards. Il explique : « En se faisant […] la championne d’une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. […] L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble ; elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »

Ne faut-il pas admettre que l’Europe n’est plus le phare du monde ?

Schuman estimait que l’Europe n’était pas faite pour elle-même mais qu’elle devait être une lumière pour le monde ! Si l’Europe arrive à faire la paix avec elle-même, elle sera semence de paix pour le monde. Et vice-versa.

Les chrétiens ne sont plus moteurs de l’Europe. Pourquoi ?

L’Europe est le théâtre de graves débats éthiques. Les chrétiens redoutent qu’on leur impose certains modèles qui font peur. On les comprend. Mais peuvent-ils changer la société en se retranchant des structures politiques ? L’histoire de notre Europe montre au contraire que c’est en se relevant les manches que les chrétiens ont obtenu une conversion de la politique. Les chrétiens ont-ils déserté l’Europe ou est-ce qu’ils ont déserté la politique tout court ? Si Schuman avait attendu la moralité des politiques pour s’engager, il attendrait toujours ! Schuman s’est posé la question de la vocation sacerdotale. Mais un ami l’a persuadé que le XXe siècle serait le siècle des « saints en veston » . Des saints laïcs ! Schuman a accepté d’entrer dans l’arène politique. Aujourd’hui, c’est vrai, on remet en cause le statut de la famille ou des embryons. Mais ne croyons pas trop vite que les débats d’aujourd’hui sont plus immoraux que ceux d’autrefois. Les débats étaient différents mais la politique n’était pas plus sainte il y a soixante ans ! Les personnes âgées de mon diocèse – je suis originaire de la Moselle – qui ont connu le député Schuman se souviennent que les campagnes politiques n’étaient pas roses ! On y allait à coup de caricatures !

S’engager sur le terrain politique européen, n’est-ce pas prendre le risque de cautionner toutes les dérives possibles ?

Ne nous laissons pas gagner par le relativisme et le défaitisme ! Saint Augustin demande aux chrétiens d’être à la société ce que l’âme est au corps. Que se passera-t-il si ceux qui sont porteurs de lumière, d’espérance et de vérité se retranchent et démissionnent ? À force de vivre dans un contexte relativiste, nous prenons le même chemin ! Les chrétiens baissent les bras. Ils se disent que la politique ne pourra plus changer, que la construction européenne est partie sur de mauvaises bases… Je ne suis pas certain que la politique de la France – dans ces domaines – soit toujours meilleure que celle de l’Europe.

Les défis de l’Europe de Schuman sont-ils encore les nôtres ?

Le défi énergétique, par exemple, persiste. Nous n’avons pas les ressources suffisantes pour permettre à tous les hommes de la planète de vivre avec le confort d’un Européen moyen. Demain, nous allons manquer de pétrole et de gaz en Europe… Nicolas Sarkozy a proposé de placer la gestion du gaz européen sous une autorité commune. Quand nous sommes confrontés à des problèmes énergétiques, il y a deux façons d’y répondre. Soit on tire la couverture à soi – on récupère le peu d’énergie qu’il reste pour ses propres besoins -, soit on accepte de mettre en commun, de partager. Quitte à réduire un peu son train de vie. Si tous les pays européen tirent la couverture à eux, ils vont se déchirer à nouveau ! La problématique de Robert Schuman est loin d’être dépassée. Il faut à l’Europe des structures fortes qui permettent d’éviter le repli sur soi que l’on constate en temps de crise. L’Europe est un géant économique mais un nain politique. Voilà le problème. Nous, Français, nous n’avons pas doté l’Europe des structures politiques nécessaires pour lui permettre d’affronter les défis de demain.

 

Retrouvez cette interview sur le site de Famille Chrétienne.

Post-scriptum : Maylis Guillier et Samuel Pruvot

 

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