Un mariage pontifical en plein vol !
19 janvier, 2018   //   Par :   //   a chaud, eglise, droit canonique   //   12 commentaires   //   21517 Vues

Pour quelques esprits chagrins, l’histoire de ce mariage célébré par le Pape dans l’avion qui le conduisait au Chili sera une occasion supplémentaire de critiques envers le Souverain Pontife. Que ce mariage étonne et interroge, je peux le comprendre ; mais certaines réactions m’ont laissé plus que dubitatif sur l’ecclésiologie qui les sous-tend : par exemple, l’évêque de Rome aurait-il besoin des facultés canoniques données par le curé pour célébrer validement un mariage ? Soyons un peu sérieux.

Une histoire conjugale particulière

Il est tout de même intéressant de se pencher sur l’histoire de ce couple … Mariés civilement depuis près de 10 ans, ils devaient se marier religieusement en février 2010. Tout était prévu, mais un séisme a détruit l’église dans laquelle ils devaient se marier le jour même où le mariage religieux était prévu. D’aucuns penseront qu’il fallait en trouver un autre … mais on peut cependant imaginer qu’un tel drame, le jour du mariage, n’a pas eu simplement des conséquences matérielles sur un bâtiment ! Toujours est-il que le mariage religieux a été reporté sine die et ils sont restés mariés seulement civilement. Il est déjà intéressant de comprendre que le Pape n’a pas célébré un mariage entre deux fiancés qui n’auraient rien prévu, et surtout sans préparation, comme j’ai pu le lire ! Il a surtout « régularisé » une situation matrimoniale et canonique plus douloureuse qu’irrégulière. Certains canonistes – dont je suis – considèrent qu’un mariage seulement civil peut être le lieu d’un vrai consentement, mais dénué d’effet canonique, lorsque les deux époux, pour une raison pour une autre, ne vont pas jusqu’à l’autel.

Et d’ailleurs, sur cette « régularisation », le pape en a donné un autre signe : ayant écouté leur histoire, le pape les a confessés, précise L’Osservatore Romano, et les a interrogés sur leurs intentions. En effet : lorsque ces régularisations surviennent (je n’ente pas ici dans les procédures précises), l’un des buts des entretiens permet de vérifier que le contenu du consentement déjà échangé est toujours d’actualité dans la volonté des époux ; et l’on sait que le Pape les a interrogés sur leur volonté de maintenir ce lien matrimonial et de continuer à en vivre. Puis il a béni leur échange de consentements.

Une capacité naturelle inscrite au coeur de l’homme

Dans le respect de la dignité et de la capacité de l’homme et de la femme a échangé un vrai consentement, comme le leur dicte leur nature d’être créé (depuis la Genèse, Dieu a déposé au cœur de l’homme la capacité de se donner dans le mariage), l’Église pose un regard de vérités sur un certain nombre de mariages dits naturels (cf. mon billet sur le mariage célébré par un laïc où je développe encore un peu plus cette idée).

Ce couple, donc, qui avait déjà posé un vrai consentement – expression de leur volonté – lors de leur mariage civil n’a pas pu recevoir la bénédiction de Dieu venant exprimer la sacramentalité de leur lien. Ils étaient donc plus dans une situation qui nécessitait une « régularisation » plus que l’absence totale de volonté matrimoniale. Certes, cela semble un raisonnement très « juridique » (un consentement posé validement, mais sans effet canonique immédiat …) ; mais en matière de mariage, les beaux sentiments ne suffisent pas et l’on ne peut pas non plus « plaquer » une théologie de la sacramentalité du mariage dénué d’une juste anthropologie et conception de l’homme dans sa capacité à répondre naturellement à l’appel que le Créateur a laissé dans son cœur dès les origines. Un homme et une femme échangeant leur consentement répondent déjà à cet appel, même civilement ; ce qui montre bien que la question de la sacramentalité dépasse la seule question de l’autorité et du pouvoir ecclésial.

La célébration d’un mariage peu ordinaire

Ce couple, donc, se retrouve dans l’avion pontifical :

« nous devions faire une photo avec le pape. Nous nous sommes trouvés près de lui et nous lui avons raconté que nous étions mariés (civilement), parents de deux enfants, et que nous voulions recevoir sa bénédiction. Et il nous a demandé si nous étions mariés à l’Église. Nous lui avons répondu que nous n’avons pas pu nous marier à l’Église parce que le jour de notre mariage, le 17 février 2010, l’église a été détruite » dans un séisme. »

Et le Pape leur a proposé de « régulariser » leur situation en les mariant sur-le-champ ! « Nous sommes du diocèse du Ciel ! » ont ensuite déclaré les deux époux. Certes, il faut habituellement une forme liturgique plus développée et un lieu spécifique comme une chapelle (mais tout ceci peut être dispensé par l’autorité compétente) ; mais le Pape a utilisé la forme « simple » de l’échange des consentements, c’est-à-dire ce qui est requis pour la stricte validité d’un tel acte : l’échange des consentements, la présence de deux témoins et un « assistant » muni des facultés canoniques pour recevoir cet échange au nom de l’Église.

Qui pourrait opposer au Pape l’absence de ces facultés canoniques en sa personne ? Certains évoquent la nécessité de recourir au curé ou à l’évêque du lieu. Faut-il rappeler ce qu’est le pouvoir pontifical ?  Le canon 331 du Code de droit canonique actuel est très clair :

« L’Évêque de l’Église de Rome, en qui demeure la charge que le Seigneur a donnée d’une manière singulière à Pierre, premier des Apôtres, et qui doit être transmise à ses successeurs, est le chef du Collège des Évêques, Vicaire du Christ et Pasteur de l’ Église tout entière sur cette terre; c’est pourquoi il possède dans l’Église, en vertu de sa charge, le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel qu’il peut toujours exercer librement. »

Le canon 331 (qui reprend l’enseignement traditionnel du Concile Vatican I, Pastor aeternus, du 18 juillet 1870) qualifie donc ce pouvoir : il est un pouvoir de gouvernement, suprême, plénier, universel, épiscopal, ordinaire, immédiat, et libre. En d’autres termes, cela signifie que le Pape a le pouvoir de juridiction sur l’ensemble de l’Église catholique, partout dans le monde, de manière immédiate et libre. Cela signifie que la primauté pontificale, loin d’être une primauté d’honneur, est un vrai pouvoir de juridiction avec tout un ensemble de prérogatives et de compétences propres : il n’est pas, contrairement à un archevêque métropolitain, un « primus inter pares » qui veille à la bonne marche de l’ensemble.

Pour ce qui nous intéresse ici, ce pouvoir est suprême en tant qu’il n’est subordonné à aucune autre délégation ; cela signifie qu’il peut agir à sa convenance, en premier ou en dernier lieu. De plus, le canon 331 qualifie se pouvoir de « plénier » ce qui s’entend, entre autres, « par toute la terre » : cela suppose que tout ce que peut une quelconque autorité ecclésiastique, le Pape le peut également (sachant que certains actes ne relève d’ailleurs que de lui). On parle aussi du pouvoir universel qu’il peut s’exercer sur toute l’Église ou sur une Église particulière ou un groupement d’Églises, sur tous les fidèles ou sur des fidèles en particulier.

Ce pouvoir est également qualifié d’ « immédiat » et de « libre » par notre canon 331. Retenons brièvement que le Saint-Père peut exercer ce pouvoir sans intermédiaire, sur tous les sujets directement sans avoir besoin de passer par des intermédiaires ou d’obtenir la permission ou le consentement d’autre autorité. Autrement dit, comme le précise J.-B. d’Onorio dans son ouvrage sur le gouvernement de l’Église : « le Pontife Romain peut exercer tous et chacun de ses pouvoirs dans un ou plusieurs diocèses sans avoir à demander l’avis, l’accord ou la permission de l’évêque du lieu, ni à suivre strictement l’ordre hiérarchique décroissant » (p.73), en demeurant libre par rapport à toute autorité qu’elle soit civile ou ecclésiastique. C’est pourquoi, d’ailleurs, tout fidèle dans l’Église peut toujours déférer à son jugement et le pape peut décider d’intervenir dans une affaire locale comme il l’entend.

Était-il nécessaire de remettre en cause la validité d’un tel mariage pour défaut de faculté canonique ? Je ne le pense pas. Quant à envisager qu’il serait nul à cause des époux eux-mêmes, je pense que la décence suffirait amplement pour ne pas poser de tels jugements sur le cœur de deux époux : c’est une mission qui ne dépend que des juges ecclésiastiques, s’ils venaient à le demander !

Un bel exemple d’accueil pastoral

« Notre mariage sera très significatif pour tous les couples du monde qui ne se sont pas mariés. Cela aidera et encouragera les personnes à se marier. Nous sommes du diocèse du ciel. »

Oui, ce mariage pourra être un exemple d’accueil et de charité. Le Pape n’avait-il pas exhorté se dégager des « douanes paroissiales » et de nos procédures parfois étriquées qui nous empêchent d’accueillir les personnes là où elles en sont ? Et ce n’est pas moi que l’on accusera de vouloir amoindrir la préparation au mariage ; mais en tel cas, le Pape a su faire preuve de discernement afin de voir comment la grâce de Dieu était déjà à l’œuvre dans la vie de ces époux.

Père Cédric Burgun

12 commentaires pour “Un mariage pontifical en plein vol !”
  • Nicolas
    19 janvier 2018 -

    Bravo Cédric! J’aime! Ça a le mérite d’être clair…

  • Jean-Pierre
    19 janvier 2018 -

    Bonjour
    Merci à vous pour toutes ces explications !
    Tous mes vœux de bonheur aux jeunes mariés…
    Gloire à Dieu

  • Markus jb
    19 janvier 2018 -

    Père Cédric, c’est une très bonne interprétation que vous avez réalisée concernant l’acte du pape… et je vous en remercie. En lisant d’autres commentaires hier, il y a un élément qui paraît un peu moins clair. D’aucuns disent que le couple « souhaitait » se marier dans l’Eglise qui avait été détruite par le tremblement de terre… Ce n’etait qu’un souhait ou bien tout était préparé pour ce jour et que c’etait la catastrophe qui les en a empêché ?

  • Damien
    19 janvier 2018 -

    Bonjour Père, dans le cadre du rapprochement avec les églises orthodoxes j’ai entendu à la radio qu’il fallait revenir à une pratique synodale du pouvoir confié au successeur de Saint-Pierre. Ce qui dans mon esprit signifiait revenir à la notion de primus inter pares que vous évoquez en précisant que le pouvoir du Pape n’est pas celui d’un primus inter pares justement. Je suis perdu dans ces notions, le retour à la pleine communion avec les orthodoxes m’est un sujet cher. Quoi qu’il en soit Vive les mariés et que DIeu les bénisse ! Fraternellement.

  • Laurent Chanon
    19 janvier 2018 -

    Merci de ces éclairages canoniques. Le Pape ayant en droit un pouvoir quasi-absolu, difficile d’imaginer en effet qu’il puisse y avoir un problème canonique.
    Une petite question qui demeure pour moi : savez-vous comment le Pape a pu vérifier les conditions de validité et de licéité de la célébration comme le prévoit le canon 1066 ? « Avant qu’un mariage ne soit célébré, il faut qu’il soit établi que rien ne s’oppose à la validité et à la licéité de sa célébration. » Ou peut-il aussi se dispenser de vérifier que rien ne s’oppose à la validité d’une célébration de mariage ?

    Après, je sais que vous êtes intéressés par la préparation au mariage au-delà de son aspect canonique. Pensez-vous, selon votre expérience, qu’on puisse en quelques minutes appréhender et discerner les besoins d’un couple en vue du mariage ? En paroisse, nous essayons autant que possible de prendre du temps avec les couples (plusieurs soirées, des rencontres individuelles…) Tout cela est-il inutile ? Les couples qui trouvent qu’ils n’ont pas à se préparer puisqu’ils vivent déjà ensemble ont-il raison de nous demander de les marier sans discuter ? Et comment leur répondre maintenant avec un exemple papal assez expéditif ?

    Est-ce qu’un couple qui a fait une préparation au mariage en 2010 n’a besoin que d’un échange de quelques minutes et du sacrement de réconciliation pour être préparé à recevoir le sacrement du mariage ? Que penser de ce couple qui explique aujourd’hui qu’ils sont « du diocèse du ciel » : cela va-t-il les aider à s’intégrer dans une communauté locale qui va porter leur engagement ? Le « diocèse du ciel » ne manque-t-il pas d’incarnation ?

    Il n’y a pas de problème canonique ici, mais au niveau de la cohérence : le Pape demande régulièrement de la synodalité, du discernement. Comment comprendre, même s’il en a tout à fait le droit, qu’il prenne une décision comme celle-ci sans consulter le ou les prêtres qui les accompagne depuis ce drame du séisme qui a détruit leur église où ils devaient se marier ? Est-ce que cela n’aurait pas été un éclairage important dans le discernement ?

    Enfin, n’y a-t-il pas quelque chose de pas tout à fait juste dans le côté sensationnel de ce mariage ? « Penser que nous nous sommes mariés avec le pape dans un avion est incomparable, merveilleux » (je note qu’ils n’ont pas compris qu’il s’agissait d’une « régularisation », ils considèrent vraiment que le Pape les a mariés… mais c’est vrai que comme la préparation a été rapide, il ne pouvait pas donner tous les détails 😉 )
    Si ce qui est merveilleux dans le mariage, c’est l’avion et le Pape, est-ce qu’on ne risque pas de rater l’essentiel ?

    • Felix
      22 janvier 2018 -

      Observations très très pertinentes

  • HUTCHEN Jehan Claude
    19 janvier 2018 -

    Bravo et Merci pour cette pertinente contribution !

  • Incarnare
    19 janvier 2018 -

    M’étant amusé (amusé, hein Cédric, on n’est pas obligé de voir du pharisaïsme partout) du tweet de Guénois, qui ne mentionnait rien de l’histoire des époux ni de la démarche d’accompagnement – si l’on peut parler d’accompagner en quelques dizaines de minutes – et se limitait à une photo d’acte de mariage qui semblait griffonné sur un coin de table, je me sens un peu visé par ton intro.

    Si les questions canoniques de forme (autorité du Pape pour célébrer un mariage en se passant de l’accord du curé de la paroisse des époux) ne sont évidemment pas le sujet, je partage la réflexion de Laurent Chanson ci-dessus. Que le Pape ait le pouvoir de célébrer ce mariage rend-il pertinent pour autant qu’il soit célébré par lui ? dans ces circonstances ?

    Au-delà, ne peut-on s’amuser du contraste apparent entre les efforts qui sont déployés partout pour parvenir à un accompagnement de fond des fiancés et les aider à poser un choix libre, et ce qui – avant explication et articles détaillés – pouvait sembler être un acte posé « à l’arrache ».

    Personne n’était comme le Pape avec ces fiancés-là, dans ces circonstances-là, écoutant ce que ces deux-là avaient à dire, et donc bien entendu que personne ne critique la décision, en prudence, du Saint-Père. Néanmoins, ne peut-on pas sourire en constatant à quel point cela a semblé « facile » par rapport au parcours des fiancés que nous accompagnons vers le mariage.

    Bonne soirée !

  • emmanuel lemiere
    20 janvier 2018 -

    merci Cédric! L’Église, c’est l’Évangile qui continue ! Jésus dérange, les pharisiens trépignent, les pauvres exultent et sont évangélisés…

  • Père Christian
    20 janvier 2018 -

    Je n’ai aucun problème avec le pouvoir du Pontife Romain en droit ecclésiastique, ni avec la définition du mariage naturel objet du consentement, ni avec l’ensemble de la préparation au mariage, s’agissant d’un cas d’espèce, dans un cadre légal où la préparation ne peut faire obstacle au droit naturel de se marier ; et encore moins avec la célébration liturgique à ne pas confondre avec la forme canonique. Ni même avec l’intention éclairée des époux, dûment requise et renforcée par la célébration sacramentelle de la réconciliation. On supposera enfin que les garanties tenant à l’état libre des conjoints auront été prises avec la certitude morale requise.
    Ma seule question – proprement canonique – est d’ordre prudentiel et porte sur le maintien du consentement (c.1095, 3°). Certes, aucune préparation n’est une assurance tous risques en ce domaine, mais le ponctuel et l’émotionnel cadrent peu avec la difficile question de la durée combinée avec le nécessaire enracinement ecclésial territorial, le simple fait de la vie commune prolongée n’offrant de soi aucune garantie. On peut en effet avoir une vie commune prolongée, connaître des allers et retours dans l’intention subjective de maintenir le mariage, connaître et décider le mariage au temps du consentement, tout en restant structurellement et malgré soi dans le ponctuel. C’est ici que le mariage ecclésiastique porte sur tout autre chose qu’une simple régularisation. Il est possible que l’action du Pape François ait eu pour effet déclenchant d’adopter la forme de l’Eglise dans le maintien décidé d’un consentement à présent présumé. Par bienveillance pour lui et pour les époux, je l’interprète dans ce sens. Mais qu’une telle initiative reste un « hapax », ce sera mieux pour les couples tels qu’ils sont et pour leur accompagnement en vue de renforcer leur décision, non seulement de se marier, mais de maintenir le consentement. C’est ainsi que, par une bienveillance éclairée, on honore les personnes tout en restant attentif aux conditions psychologiques et aux faits sociaux. Le mariage valide des catholiques est en effet un sacrement par contrecoup, mais reste à l’origine une affaire de pâte humaine sur le fondement de la Création.

  • professeur Tournesol
    20 janvier 2018 -

    A bord d’un avion volant à grande vitesse, et peut-être au dessus de l’Atlantique, il eût été difficile de savoir à quel curé le pape aurait dû demander l’autorisation !

  • Berthier Pierre
    26 janvier 2018 -

    Merci Cédric pour ces explications théologiques et pastorales
    restent les questions pratiques: sur quel registre inscrire l’acte de mariage?
    Qui encaisse la quête?

    Avec humour !! pour dérider les pisse-vinaigre