PrayforParis (homélie de ce dimanche)
14 novembre, 2015   //   Par :   //   a chaud   //   2 commentaires   //   5510 Vues

La liturgie de ce dimanche et de ces derniers jours, d’ailleurs, revêt une couleur particulière lorsque nous entendons aujourd’hui ces paroles de Jésus : « en ces jours-là, après une grande détresse (…) les puissances célestes seront ébranlées. » (Mc 13, 24). La tragédie de la nuit de ce vendredi 13 novembre laisse place à l’effroi et à la tristesse, au questionnement aussi ; bref, au silence. Nous prions pour les victimes décédées et toutes leurs familles. Nous implorons pour elles la miséricorde de Dieu.

Face à une telle sauvagerie, une telle horreur, une foule de questions se lèvent dans nos cœurs ; et je puis vous l’assurer, pas moins dans le cœur d’un prêtre. En considérant la barbarie dont notre humanité est capable, nous ne pouvons que nous interroger. Mais avant ces questionnements, je voudrai avec vous, réaffirmer notre condition humaine et chrétienne, afin d’essayer de vivre, avec notre foi, ces évènements : si nous sommes frères de nos contemporains, si nous sommes des citoyens du monde ; nous sommes chrétiens, et à ce titre invités à relire tout événement à la lumière du Christ et de l’événement de Pâques. Bref, nous sommes des citoyens des Cieux.

En disant cela, nous réaffirmons que nous vivons dans ce monde et de ce monde. Autrement dit, toute la souffrance de ce monde est notre propre souffrance : ses larmes sont nos larmes. Avec tous nos frères et sœurs, nous ne pouvons que pleurer devant tant de haine et de violence ; avec eux, nous ne pouvons que crier face à l’injustice et à la division. Notre incompréhension, notre douleur, nos larmes aussi ne sont pas en contradiction avec notre foi. Dieu n’a-t-il pas ses entrailles bouleversées comme une mère en voyant la violence de notre monde ? Jésus n’a-t-il pas pleuré sur Jérusalem ? Dieu n’est jamais indifférent à toute la misère humaine, à toute la souffrance, à toute la violence. Il a subi lui-même cette violence sans nom de la croix. Comme Élie Wiesel en son temps, obligé de regarder des condamnés à mort dans les camps de concentration, nous pourrions entendre cette question : « Où est donc Dieu ? » et y répondre de la même manière que lui : « Où il est ? – Le voici : il est pendu ici, à cette potence … »

Dans un monde qui tend vers une globalisation croissante, il n’est plus possible d’ignorer la réalité et la diversité de notre monde. Cette société contemporaine, dans laquelle se confrontent cultures, civilisations, identités nationales ou continentales, enjeux économiques internationaux, peut-elle permettre aux hommes de « vivre ensemble » dans la compréhension, l’acceptation, le respect de la différence ? Notre foi en l’incarnation du Fils de Dieu nous fait épouser ce monde comme lui-même l’a épousé. Il convient de nous y engager pour que nos différences ne soient jamais l’occasion de nos divisions. Comme le rappelle le Cardinal Vingt-Trois, « face à la violence des hommes, puissions-nous recevoir la grâce d’un cœur ferme et sans haine. Que la modération, la tempérance et la maîtrise dont tous ont fait preuve jusqu’à présent se confirment dans les semaines et les mois qui viennent ; que personne ne se laisse aller à l’affolement ou à la haine. Demandons la grâce d’être des artisans de paix. Nous ne devons jamais désespérer de la paix, si on construit la justice. »

Et la paix, comme le disait le Pape Paul VI en 1967, « ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes. » (Paul VI, Populorum Progressio, 1967, n°76). Comme chrétien, nous devons assurer la paix par d’autres moyens que la domination et la « loi du talion. »

Je viens d’une région où les croix de nos cimetières se dressent en la parsemant pour nous rappeler le drame des guerres du passé. Notre monde n’en finit donc plus de se déchirer : pourquoi ces morts ? Pourquoi ces guerres incessantes et inévitables ? Pourquoi l’humanité recourt-elle sans cesse à la guerre pour résoudre ses contradictions, ses oppositions ? Pourquoi ? Nous sommes citoyens du monde, parce qu’avec eux, nous crions ces questions vers le Ciel.

Mais là, l’évangile, sans répondre totalement à ces questions dramatiques, vient au moins nous apporter une certitude : la violence naît de l’absence de Dieu. Comme le disait Mère Térésa, « sans Dieu, nous sommes des êtres humains qui ne peuvent donner que de la douleur et de la souffrance. » Là est le douloureux constat de ces jours. La paix ne sera jamais que le signe de nos conversions. Délaissant Dieu, le monde ne peut que s’enfermer dans cette violence. C’est pourquoi le Christ nous enseigne ainsi sur sa venue : son attente ne peut pas être une attente paisible, dans le sens où cette attente est avant tout le signe de son absence dans le cœur de chacun. En lisant l’évangile, nous savons que ces détresses, celles que nous vivons présentement et celles encore à venir, précèdent sa venue. Autrement dit, l’évangile se réalise sous nos yeux : la venue du Christ est bien en œuvre. Seuls les yeux de la foi nous permettront de relire ces évènements dans une perspective plus eschatologique : Jésus ne promet la paix dans ce monde, mais bien dans l’autre d’abord, un peu à l’image de le Vierge Marie à sainte Bernadette : « Je ne vous promet pas le bonheur en ce monde mais dans l’autre ».

Quand nous lisons les évangiles des fins dernières, comme nous les appelons, nous pouvons être terrifiés ou horrifiés à leur lecture, comme nous le sommes devant nos postes de télévision en ces jours. Or, le Seigneur ne s’exprime pas ainsi pour nous apeurer, mais pour nous sortir d’une foi naïve : de la même manière que le Seigneur a sauvé le monde par sa propre montée au calvaire, la lente marche de l’humanité vers son salut se vit aussi dans cette souffrance et cette nuit : le bien et le mal combattent encore en nous – nous ne le savons que trop bien – et au dehors. Mais le chrétien possède en lui ce trésor de l’espérance : non pas l’espérance que le Seigneur nous ferait traverser ce monde sans combat et sans douleur, mais bien qu’à ce combat et cette douleur, il peut donner un sens salvifique puisqu’il est le vainqueur de toute chose ; ou encore selon la lettre aux Hébreux, « il attend désormais que ses ennemis soient mis sous ses pieds » (Hb 10, 14).

Répondant au Seigneur dans l’évangile, viendra le temps où nous nous laisserons « instruire » par ces évènements ; sans doute pas aujourd’hui, sans doute pas demain ; tout est encore trop récent. Quand nous croyons que la Providence agit dans le monde, ce n’est pas d’abord pour régir tout ce qui s’y passe, mais bien parce que tous les évènements du monde, quels qu’ils soient, peuvent être instructifs sur la venue du Seigneur, en nos vies et dans le monde. En cela, nous sommes citoyens du Ciel ; nous le voyons arriver, malgré la souffrance, malgré ces croix.

En ces jours de deuil et de prière, comme nous y a invité le Cardinal Vingt-Trois, en ces jours de deuil national, décrété par le Président, le plus bel hommage à rendre à toutes les victimes de ces derniers jours, mais aussi de tous les récents attentats en différents pays, outre notre prière évidemment très importante, « c’est de leur dire, puisqu’ils nous entendent maintenant, qu’ils ne sont pas morts pour rien ; que leur mort nous a fait comprendre et nous a rendus conscients de la nécessité absolue de nous unir » (1).

Je termine en nous laissant ces quelques mots de l’abbé Pierre :

« Je continuerai à croire, même si tout le monde perd espoir.
Je continuerai à aimer, même si les autres distillent la haine.
Je continuerai à construire, même si les autres détruisent.
Je continuerai à parler de paix, même au milieu d’une guerre.
Je continuerai à illuminer, même au milieu de l’obscurité.Je continuerai à semer, même si les autres piétinent la récolte.Et je continuerai à crier, même si les autres se taisent.Et je dessinerai des sourires sur des visages en larmes.Et j’apporterai le soulagement, quand on verra la douleur.Et j’offrirai des motifs de joie là où il n’y a que tristesse.J’inviterai à marcher celui qui a décidé de s’arrêter…Et je tendrai les bras à ceux qui se sentent épuisés. »

Père Cédric Burgun +

(1) F.R. Hutin, Ouest-France, novembre 2007.

 

 

2 commentaires pour “PrayforParis (homélie de ce dimanche)”
  • Paul
    16 novembre 2015 -

    Merci Père pour cette tres belle homélie !

  • Nathalie
    21 novembre 2015 -

    Merci Père de ces mots si justes et chargés d’Espérance. Nous sommes tellement démunis face à des êtres humains capables d’adhérer au Mal dans ce qu’il a de plus absolu et de plus vertigineux. Mais quelle réassurance intérieure de savoir que notre Dieu d’amour est présent à nos côtés, et qu’il nous donne de participer à sa souffrance rédemptrice. Notre inquiétude, et notre peine de voir tant de familles décimées par la douleur, entrent dans cette offrande. Seigneur prends pitié de nous.