A propos du Synode et des divorcés-remariés …
25 octobre, 2013   //   Par :   //   eglise, droit canonique, societe / culture   //   4 commentaires   //   8398 Vues

Les esprits se sont un peu échauffés à l’annonce d’un synode sur la famille. Le pape François allait enfin modifier les règles de l’Église concernant les divorcés remariés. Beaucoup de médias, y compris catholiques, ont voulu lire entre les lignes de cette annonce. Les choses sont plus complexes qu’elles en ont l’air. En ce sens, nous devrions tous faire preuve d’un peu plus de patience et de prudence ; ce que je dis et répète depuis le début du Pontificat.

Le soir de l’annonce du Synode, KTO m’invitait pour commenter cette annonce et je redisais, en substance, qu’il ne fallait pas trop attendre à ce sujet, au risque de grandes déceptions. Et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi vient de publier, via l’Osservatore Romano, un long document qui émane de son Préfet, Mgr MULLER, qui fit un peu de bruit puisqu’elle réaffirme, on ne peut plus clairement, la non-admission des chrétiens divorcés remariés aux sacrements. Beaucoup de commentaires n’ont pas trouvé de mots assez clairs pour exprimer le point d’arrêt qu’ils estimaient voir, un an avant le Synode, avec semble-t-il, l’accord du Pape.

Mais qu’il y a-t-il d’étonnant, sincèrement ? Le théologien Joseph Ratzinger avait lui-même prévenu que le sujet était extrêmement complexe et qu’il ne suffisait pas, d’un coup de baguette de magique, de promulguer une loi qui autoriserait tout le monde à communier pour arranger les situations. Si Benoit XVI lui-même n’avait pas ecnore trouvé la solution, ce n’est pas en forçant la manche du Pape François que les choses s’arrangeront plus facilement. De plus, je crois le Pape régnant beaucoup plus humble que tous les commentateurs ne le disent : ce n’est pas un révolutionnaire de l’Église et il ne changera pas pour changer. Il recherche quelle est la Vérité de Dieu ; non pas l’amour du monde. Et le document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi montre très bien à quel point les questions sont compliquées. Et je voudrai, simplement, pointer « plusieurs » problèmes liés à cela.

La communion pour tous : quelles conséquences ?

En théologie catholique, nous avons depuis longtemps défini l’eucharistie comme la source et le sommet de notre vie chrétienne. La source, certes, mais aussi le sommet. Ainsi compris comme acte d’union avec Dieu par excellence, la communion nécessite des conditions précises : être baptisé, être en communion avec l’Église, sans péché grave sur la conscience. Évidemment, nous ne savons jamais réellement si nous sommes en état de communier. Mais il y a des signes objectifs qui peuvent nous indiquer comment nous approcher du Seigneur. Parmi ceux-là, le respect des commandements de Dieu. Un de mes amis anglicans me disait un jour : « pour vous catholiques, l’eucharistie est comme la « récompense » après la conversion : il faut celle-ci avant de pouvoir communier ; pour nous, c’est le pain de la route qui mène à la conversion ». Alors oui, nous avons cette différence fondamentale d’approche. Qui a raison ? La réponse n’est pas simple, reconnaissions-nous tous deux, car dans l’évangile, les choses ne sont pas si claires.

Si nous autorisions la communion « à tous » (et je ne parle pas seulement des divorcés-remariés), les conséquences seraient sans doute difficiles : nos exigences de conversion s’en trouveraient déjà amoindries ! Nous parlons souvent des divorcés-remariés. Mais que dire alors des personnes, nombreuses, qui essaient de vivre leur situation de célibataire dans la fidélité à ce que Dieu leur dit au plus profond de leur conscience ? Nous leur dirions en substance : « ton mariage précédent ? laisse tomber …. Et fais ce que tu veux de ta vie ! ». C’est bien ce que Mgr Muller dit aussi : « si l’on admettait ces personnes à l’Eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l’Église concernant l’indissolubilité du mariage ». Oui, nous devons aussi regarder simplement ce que les gens vivent. Tous ceux qui essaient de garder ce célibat subi, offrant leur souffrance, parfois pour sauvegarder aussi des relations familiales complexes, ne sauraient plus comment se situer.

D’autre part – et je sais que le sujet est quelque peu polémique – mais que faisons-nous, nous qui pouvons communier ? Pourquoi est-ce que nous nous focalisons sur les divorcés remariés si facilement et que, pour certains, nous défendons soi-disant leur cause ? Je connais beaucoup de personnes remariées qui ne demandent rien à personne. Soyons honnêtes : permettre la communion pour les personnes remariées signifierait aussi admettre que notre exigence de confession avant la communion tombe et ne représente rien. Et là, il y a aussi une souffrance des personnes remariées dont on ne parle jamais : on parle régulièrement de leur situation, mais on ne parle jamais ou presque de tous ceux qui vont communier chaque dimanche en n’ayant plus mis les pieds au confessionnal depuis des lustres. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les files de communion du dimanche et les files de confessions … la différence est suffisamment flagrante pour voir le problème.

Pardon de le dire ainsi, mais derrière ces revendications qui ne viennent pas, pour une part, des personnes divorcées-remariées elles-mêmes, n’est-ce pas notre conscience que nous voulons apaiser ? Si nous étions plus conscients de ce don immense que Dieu nous fait, si nous ne communions non pas par droit, mais par amour et par respect du Seigneur, communierons-nous si souvent ? Je ne veux pas revenir à près de 100 ans en arrière où les gens ne communiaient pratiquement plus du fait de conditions trop strictes. Mais avouons que nous sommes tombés dans l’excès inverse : nous communions trop souvent pour le peu d’examens de conscience que nous posons.

Nous aidons-nous les uns les autres par nos communions, par notre manière d’être de nous situer en Église ? Je ne suis pas sûr que les revendications répétées respectent la souffrance des personnes séparées ou divorcées, d’une part, et des personnes remariées d’autre part. Une fois encore, leur permettre la communion comme si de rien n’était reviendrait à gommer leurs souffrances, en mettant un voile pudique dessus, semblant dire : « tu vois, il n’y a pas de problème ». Eh bien, si : ces personnes ont besoin d’être respectées, aimées et touchées dans leur souffrance. Le médecin ne guérit jamais une personne en lui disant « tu n’es pas malade ».

Disant cela, le problème n’est pas résolu évidemment ; et je ne dis pas qu’un jour, peut-être, l’Église permettra la communion, d’une manière ou d’une autre. Mais nous aurons alors avancé sur bon nombre d’autres points.

La question des nullités de mariage …

C’est une question que je commence à bien connaître, comme juge ecclésiastique, mais aussi comme pasteur évidemment. Je voudrai d’abord tordre le cou à l’idée selon laquelle il y aurait ceux qui connaitraient les rouages ecclésiaux et sauraient s’y prendre pour introduire un procès en déclaration de nullité qui leur permet une deuxième union licite devant Dieu, et la masse de ceux qui n’y comprennent pas grand-chose, et qui seraient du coup “discriminés”. » Quelle piètre image de la justice dans l’Église ! La plupart des prêtres sont aujourd’hui sensibilisés sur cette question. Ces derniers temps, nous avons vu fleurir régulièrement des ouvrages, des articles, des interviews (j’en suis témoin : je suis souvent interrogé !) sur la question de la nullité de mariage. L’enjeu n’est pas tant de faire connaître cette possibilité que de bien l’expliquer. Et posons la question : est-ce bien 3 lignes ainsi présentées qui favoriseraient cette égalité ? Je n’en suis pas sûr.

Les dossiers arrivant aux officialités (les tribunaux de l’Église) augmentent en nombre chaque année, tandis que les étudiants en droit canonique se font moins nombreux. Malgré la surcharge de travail pour traiter ces dossiers, je peux témoigner combien les juges et les avocats, le font avec courage et honnêteté face à une complexité toujours plus grande de la psychologie humaine.

Mais je voudrai aussi témoigner d’une autre chose : les tribunaux civils n’en finissent pas de se désintéresser de la question matrimoniale : les divorces pour consentement mutuel sont les plus importants en nombres, ce qui ne permet jamais aux couples de mettre des mots sur leurs blessures ou leurs souffrances, du moins avec un tiers. Les prêtres sont mal à l’aise, souvent, avec ces questions ne sachant que répondre. Pensons-nous qu’en minimisant la souffrance et faisant comme si de rien n’était, nous aiderons ces couples à avancer dans la Vérité ? Je suis témoin que de nombreux « couples » font, à travers de leur procès de nullité de mariage, un véritable chemin de guérison et de vérité sur leur histoire, qu’aucun autre lieu ne leur a permis. N’est-ce pas d’abord cette question-là que nous devrions aborder en église avant de nous poser la question si épineuse de la communion ? N’est-ce pas ces accompagnements que nous devrions mettre en acte avant de revendiquer, pour d’autres, des « droits à » ? Il est surprenant de voir que le Pape François n’arrête pas de nous encourager à aller aux périphéries, qu’il nous explique que l’Église est comme un hôpital de campagne après la guerre qui doit soigner les blessures (ce qui est très juste !) et que bien souvent, nos positions témoignent plus de l’ignorance des blessures que de la simple recherche de l’égalité au sein de l’Église …

La question de la nécessité de la foi dans la célébration du sacrement sera une question difficile. J’espère que le prochain Synode en traitera ; nous verrons bien. Nous sortons d’une période où le mariage à l’église était une habitude. Aujourd’hui encore nous voyons se présenter des jeunes qui demandent la bénédiction d’un engagement qu’ils ne mesurent plus. Dire que les jeunes se marient aujourd’hui en étant immature ne suffit pas à déclarer un mariage invalide. Or, la question du mariage avait déjà été soulevée par les disciples qui se demandent déjà eux-mêmes, face à « l’intransigeance » de Jésus sur le divorce, s’il y a bien « intérêt à se marier » dans ces conditions  (cf. Mt 19, 10) ? Et Jésus répond cette parole quelque peu énigmatique qui, me semble-t-il, n’a pas suffisamment attiré notre attention : « Ce n’est pas tout le monde qui peut comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l’a révélée » (Mt 19, 11).

C’est sans doute une des raisons qui pousse Mgr Müller à expliquer, à la suite du théologien Ratzinger, qu’il nous faut toujours plus « clarifier quelles conditions doivent être remplies pour qu’un mariage indissoluble existe selon le sens qui lui attribué par Jésus ». En effet, le Cardinal Ratzinger avait déjà lui-même formulé cette question : « est-ce que vraiment tout mariage entre deux baptisés est « ipso facto » un mariage sacramentel ? » L’Église, déjà, comprend que l’indissolubilité véritable ne se trouve que dans le cadre du sacrement. Le mariage entre deux non-baptisés, voire même entre un baptiés et non-baptisé, peut être dissous pour laisser place, sous certaines conditions évidemment, à un autre mariage. Qui le sait ? La question que posait le pape Benoit XVI allait encore plus loin : aujourd’hui, nous considérons que deux baptisés sont automatiquement engagés dans un mariage sacramentel et donc totalement indissoluble. Mais quid de la compréhension et de leur foi en cette sacramentalité ? Vaste question dont s’était déjà saisi le Pape émérite.

Au synode, bien d’autres sujets sur le feu …

Ces quelques questions sont loin d’êtres les seules. Il y en a bien d’autres. Cela nécessitera un débat posé et réfléchi tout au long de cette année, qui nous conduira au Synode. Mais ce qui est clair, c’est que ce débat mérite bien mieux que quelques enthousiasmes médiatiques incontrôlés qui ne créeront à force que désillusion et désespérance.

Au synode, il y aura donc bien des sujets, et le Pape François ne l’a pas convoqué seulement pour les divorcés-remariés mais pour parler de la famille dans le contexte nouveau qui est le nôtre. Par exemple, la question de la préparation au mariage, mais aussi de l’accompagnement des jeunes couples, se posant ou non la question du mariage, est une question brûlante (et j’aurai moi-même, très prochainement, l’occasion de m’exprimer largement sur cette question, notamment avec la publication à venir d’un livre sur ce sujet, avec une conseillère conjugale). Les propositions ecclésiales pour les personnes en situation de souffrance conjugale : qu’avons-nous à proposer ? Il y a encore trop peu d’initiatives ici ou là. Enfin, la question de la sexualité n’en sera sans doute pas en reste : pour ma part, mon investissement dans la formation aux méthodes naturelles de régulation des naissances me montre combien l’Église a un langage prophétique sur toutes ces questions, qu’elle doit faire passer, toujours plus et toujours mieux.

A tout cela, demandons le discernement de l’esprit et du cœur au Dieu Créateur.

Père Cédric Burgun

4 commentaires pour “A propos du Synode et des divorcés-remariés …”
  • marie
    25 octobre 2013 -

    Certes, il faut nous convertir avant de communier. Je ne vis pas de relation sexuelle hors mariage mais par ailleurs, je fais une foule de péchés que je ne confesse jamais faute de m’en rendre compte ou faute de vouloir vraiment y renoncer.
    Ce que nous dit le pape François: laissons un peu de côté cette obsession pour la sexualité « morale », concentrons-nous au moins aussi fort sur nos autres péchés! Si les cathos étaient aussi sévères envers le vol (fraude, téléchargements illégaux, cupidité qui vole le plus pauvre, etc) ils ne seraient pas nombreux à aller communier…

  • Jean Mercier
    25 octobre 2013 -

    Cher Père, vous me faites ici un bien mauvais procès. Je souligne dans mon blog la méconnaissance des gens qu’il existe la possibilité d’une déclaration en nullité. Je veux dire de 90% des catholiques qui ne connaissent pas le fonctionnement de l’Eglise. La sensibilisation des prêtres est réelle, mais il me semble que vous méconnaissez la méconnaissance des arcanes de l’Eglise.

    • Père Cédric
      25 octobre 2013 -

      Ce n’est pas un procès ad hominem, cher Jean. Dire qu’il y a une méconnaissance chez les chrétiens est une chose ; dire que certains savent s’y prendre pour pouvoir se remarier en est une autre. Là est la mauvaise image de la justice dans l’Eglise qui est véhiculée.

  • Marie Pierre Martin
    31 octobre 2013 -

    Secrétaire de Miséricorde et Vérité, je me permets de vous inviter à participer à notre rencontre du 18 novembre prochain au Foyer de Charité de Combs-la-Ville. L’objectif de notre association est l’accompagnement des personnes divorcées, séparées et divorcées remariées dans la fidélité à l’Evangile et au Magistère et notre journée de réflexion du 18.11 est consacrée aux liens entre le sacrement de mariage et les autres sacrements présenté par Mgr J.P. Batut et le P. Jacques de Longeaux.

    Donnez-moi votre adresse internet pour que je vous envoie les documents.

    Amicalement

    marie pierre