Schuman, saint Jean-Paul II et le pardon européen …
3 mai, 2014   //   Par :   //   schuman, europe, societe / culture   //   1 commentaire   //   6137 Vues

Texte publié sur le blog du journal La Croix « L’Europe en débat » auquel je participe, et ouvert à l’occasion des élections européennes.

Robert Schuman était très clair :

« L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait » (9 mai 1950). Et encore : « Il n’y a pour nous d’autre chance de salut que le retour aux principes de solidarité entre les individus et entre les Nations, à la pratique de la fraternité qui doit nous unir dans la coopération et dans le sacrifice. »

Et le christianisme lui avait enseigné que « la loi universelle de l’amour et de la charité a fait de tout homme notre prochain et sur elles reposent depuis lors les relations sociales dans le monde chrétien. Tout cet enseignement et les conséquences pratiques qui en découlent ont bouleversé le monde. »

La semaine dernière a été canonisé le pape Jean-Paul II, élevé ainsi sur les autels. Pape infatigable de la paix et pèlerin en Europe, il n’a eu de cesse à appeler notre pauvre continent à la paix et à la réconciliation. Vendredi prochain, nous célébrerons le 9 mai, journée commémorative de la fameuse déclaration de Robert Schuman, considérée comme acte fondateur de l’Europe.

Et le 1er octobre 1999, dans le Motu Proprio qui a proclamé co-patronnes de l’Europe Ste Catherine de Sienne, Ste Brigitte de Suède et Ste Édith Stein, saint Jean-Paul II faisait un constat douloureux, certes rapidement, au détour d’une phrase que :

« Il n’y a pas de doute que, dans l’histoire complexe de l’Europe, le christianisme représente un élément central et caractéristique, renforcé par le solide fondement de l’héritage classique et des contributions multiples apportées par divers mouvements ethniques et culturels qui se sont succédé au cours des siècles. La foi chrétienne a façonné la culture du continent et a été mêlée de façon inextricable à son histoire, au point que celle-ci serait incompréhensible sans référence aux événements qui ont caractérisé d’abord la grande période de l’évangélisation, puis les longs siècles au cours desquels le christianisme, malgré la douloureuse division entre l’Orient et l’Occident, s’est affirmé comme la religion des Européens eux-mêmes. Dans la période moderne et contemporaine aussi, lorsque l’unité religieuse s’est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions intervenues entre les chrétiens qu’en raison des processus qui ont amené la culture à se détacher des perspectives de la foi, le rôle de cette dernière a gardé un relief non négligeable ».

Quel est ce constat ? Oui, l’Europe a bien ses racines en la foi chrétienne qui a façonné tant et tant de siècles et de saints … mais oui, aussi, « l’unité religieuse s’est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions intervenues entre les chrétiens qu’en raison des processus qui ont amené la culture à se détacher des perspectives de la foi » : l’unité des chrétiens, blessés au cours des siècles, a blessé elle aussi l’unité de notre continent.

Et, pourtant, ajoute encore le nouveau saint, « le rôle de (la foi) a gardé un relief non négligeable ». Pourquoi ? Parce que seule la foi permettra, j’en suis convaincu, de retrouver le chemin de l’unité et de la réconciliation en Europe. Encore faut-il être convaincu que notre continent a besoin d’être réconcilié ! R. Schuman avait posé comme principe de départ la réconciliation entre les peuples. Et quels sont les défis actuels de la réconciliation ? Cette réconciliation est-elle un thème dépassé pour l’Europe, alors que nous allons célébrer le 9 mai, et plus loin encore, le centenaire de la guerre de 14-18 ? A priori, on pourrait se dire que oui : les peuples européens ne sont plus en guerre, et, pour ne parler que de ces deux nations, la France et l’Allemagne sont maintenant le socle d’une amitié et d’une coopération européenne sans précédent.

Pourtant, on peut se demander si cette réconciliation n’est pas à vivre au quotidien et ne nous attend pas encore demain. Il est vrai que l’on peut reconnaître honnêtement que « l’Europe a aujourd’hui tourné le dos pour le moment au culte de la souveraineté sans partage. Elle a, pour le moment, choisi de renoncer aux idoles des nationalismes stériles, quoi que certains veuillent y revenir ! Cette Europe a pratiqué le pardon mutuel sans oublier le passé proche. Elle a pour le moment, encore, a renoncé à la guerre pour les régler les différends entre ses membres … mais est-ce si vrai quand on voit que la guerre reste le moyen privilégié pour résoudre les conflits ?

Dans une intervention remarquée, devant le Parlement Européen le 11 octobre 1988, saint Jean-Paul II a évoqué trois domaines où la réconciliation européenne devait encore faire ses preuves :

« d’abord réconcilier l’homme avec la création ; ensuite, réconcilier l’homme avec son semblable,  en s’acceptant les uns les autres entre Européens de diverses traditions culturelles ou familles de pensée, en étant accueillant à l’étranger et au réfugié ; et enfin, réconcilier l’homme avec lui-même. »

On voit assez nettement les implications de ces trois domaines. De manière complètement prophétique, Jean-Paul II prévoyait que la création serait, tôt ou tard, le lieu de futures divisions. On le voit très clairement avec les questions énergétiques : saurons-nous partager et nous unir davantage quand demain nos pays manqueront de telle ou telle ressource ou les nations tireront-elles à nouveau la couverture vers elles ? C’est un des grands enjeux (pardon de le lire de manière aussi peu nuancée) de la crise en Ukraine.

L’homme est-il vraiment réconcilié avec son semblable, quand l’on voit que nos sociétés s’enfoncent toujours plus dans l’individualisme qui n’est en fait qu’un  « je-m’en-foutisme » grandissant ? Certains débats récents – débats loin d’être simples et dont je sais que je les soulève de manière bien trop légère – nous révèlent encore l’incapacité de nos contemporains européens à accepter un dialogue avec des cultures autres et souvent méconnues.

Et enfin, l’homme est-il réconcilié avec lui-même, c’est-à-dire avec son humanité et sa vocation, avec son propre corps, avec son âme dont la soif de spiritualité est aussi importante que l’air et l’eau pour nourrir son corps, quand on sait que nos pays occidentaux sont les plus grands consommateurs d’antidépresseurs, par exemple ? Quand on sait que l’on joue aux apprentis sorciers avec la moindre cellule de nos corps ? Quand on sait que l’on veut briser jusqu’à la différenciation sexuelle au sein de l’humanité ?

Les défis européens en terme de réconciliation se situent dans des domaines très clairs qu’on ne peut évoquer que rapidement : « menace nucléaire », apparition de formes de fondamentalisme politique et religieux, importantes migrations de peuples, des situations d’instabilité politique dangereuse, etc.

La paix et la réconciliation impliquent avant tout d’apprendre à vivre non plus pour soi, mais avec les uns et les autres, dans le respect de la diversité de nos langues, de nos cultures et de nos religions : la fraternité « chrétienne » dont parlait Schuman est bien à l’ordre du jour. Notre modèle européen doit être caractérisé par ce « vivre ensemble » communautaire (et d’ailleurs, nous avons beaucoup perdu, dans le langage en passant de la « communauté européenne » à « l’Union européenne ») : là déjà, nous pourrons faire fructifier l’héritage chrétien des valeurs qui ont fait et qui font, aujourd’hui encore, l’Europe. Il faudrait détailler chacun de ces points : ensemble, ils montrent bien la nécessité qu’a l’Europe de recouvrer son âme. 

Père Cédric BURGUN

1 commentaire pour “Schuman, saint Jean-Paul II et le pardon européen …”
  • Guillaume de Prémare
    4 mai 2014 -

    Je pense que face à l’Europe réelle, si différente de l’Europe rêvée, on ne peut plus accorder la même valeur à des justifications telles que la paix, la solidarité ou encore la fraternité. C’est ainsi que les pères fondateurs ont présenté leur grand dessein fédéral ; c’est souvent ainsi que leurs héritiers continuent à défendre la construction européenne et parfois à prôner de nouvelles étapes.
    Je suis d’accord avec Coralie Delaume quand elle décrit – sur le blog La Croix – « l’étonnante capacité de l’idée européenne à fournir à qui les lui demande les moyens d’une bonne conscience à peu de frais ».