Apostasie européenne ?
23 avril, 2014   //   Par :   //   schuman, europe, societe / culture   //   1 commentaire   //   5380 Vues

Texte publié sur le blog du journal La Croix : http://europe.blogs.la-croix.com, ouvert à l’occasion des élections européennes.

Je le disais dans mon dernier billet, en plagiant Vaclav HAVEL, une des difficultés européennes aujourd’hui est que le sens de la vie la dérange de moins en moins.

Les chrétiens catholiques sont parfois les premiers à critiquer l’Europe comme si elle était responsable de tous nos maux, particulièrement dans le domaine moral et familial. L’Europe n’est pas à la hauteur des enjeux : c’est vrai. L’Europe ne répond pas à son exigence de protection de la vie, de son commencement à sa fin naturelle. Mais comprenons-le bien : ce ne sont pas les partis en présence qui mettent le plus en avant cette nécessité de volonté politique en ces domaines.

Pour SCHUMAN, servir l’humanité est un devoir à l’égal de celui que nous dicte notre fidélité à la nation ; et il enseignait clairement que l’idéal qu’il poursuivait, était pétri du christianisme qui, selon ses mots, « a enseigné l’égalité de nature de tous les hommes, enfants d’un même Dieu, rachetés par le même Christ, sans distinction de race, de classe et de profession. Il a fait reconnaître la dignité du travail et l’obligation pour tous de s’y soumettre. Il a reconnu la primauté des valeurs intérieures qui seules ennoblissent l’homme. La loi universelle de l’amour et de la charité a fait de tout homme notre prochain et sur elles reposent depuis lors les relations sociales dans le monde chrétien. Tout cet enseignement et les conséquences pratiques qui en découlent ont bouleversé le monde. »

C’est au fond de la prison de Gestapo allemande que Robert SCHUMAN a eu cette intuition fondamentale que le message d’amour apporté par le Christ ne s’appliquait pas seulement aux individus, mais aussi aux communautés humaines entre elles. Les divers partis en présence dans cette campagne européenne seraient-ils prêts à s’engager sur ce texte de Robert Schuman ? Je n’en suis pas sûr.

Lorsque Benoit XVI, pour ne parler que de lui, montrait à maintes reprises sa profonde conviction européenne, il en profitait pour appeler à renoncer définitivement à ce qu’il appelait « l’hérésie nationaliste » (Card. Joseph RATZINGER, Un tournant pour l’Europe, Flammarion / Saint-Augustin, 1996, p.113) ! Voilà l’encouragement de l’Église à la construction européenne. Peut-on dire non à l’Europe ? Non !

Alors certes, Benoit XVI a aussi parlé d’ « apostasie » de l’Europe ; apostasie qu’il a dénoncée dans un discours remarqué au cours d’un colloque organisé par la COMECE (Commission des Épiscopats de la Communauté Européenne), le 24 mars 2007 à Rome. Après avoir regardé les avancées positives de la construction européenne, et s’être interrogé sur les difficultés actuelles de l’Europe (baisse inquiétante de la démographie, manque de solidarité, individualisme croissant et sentiment flou d’appartenance à la communauté européenne), Benoit XVI s’interrogeait : « n’est-il pas surprenant que l’Europe d’aujourd’hui, tandis qu’elle vise à se présenter comme une communauté de valeurs, semble toujours plus souvent contester le fait qu’il existe des valeurs universelles et absolues. Cette forme singulière d’ « apostasie » d’elle-même, avant même que de Dieu, ne la pousse-t-elle pas à douter de sa propre identité ? De cette façon, on finit par répandre la conviction selon laquelle la « pondération des biens » est l’unique voie pour le discernement moral et que le bien commun est synonyme de compromis. En réalité, si le compromis peut constituer un équilibre légitime d’intérêts particuliers différents, il se transforme en mal commun chaque fois qu’il comporte des accords qui nuisent à la nature de l’homme. »

Une lecture simpliste a eu trop vite fait de comprendre que le Saint-Père dénonçait d’abord l’apostasie religieuse de l’Europe, avec pour arrière-plan de cette lecture le débat sur les racines chrétiennes. Si habituellement, le terme « apostasie » s’applique bien à l’homme en tant qu’individu qui renie ou abandonne Dieu, Benoît XVI parlait d’une « apostasie d’elle-même ». Lorsque l’Europe renie le fait qu’il existe des « valeurs universelles et absolues », lorsque l’Europe a la tentation de retomber dans l’hérésie nationaliste, lorsque l’Europe a la tentation de retomber dans un racisme primaire … Benoît XVI ne dit pas que l’Europe se renierait parce que rejetant d’abord ou uniquement ses racines chrétiennes (l’expression est d’ailleurs absente dans ce discours), mais bien parce qu’elle renie l’existence de valeurs universelles.

Le Pape Jean-Paul II, dans l’exhortation apostolique Ecclesia in Europa, souligne que, je cite :

« les valeurs fondamentales, à l’acquisition desquelles le christianisme a apporté une contribution déterminante (…) peuvent se résumer dans l’affirmation de la dignité transcendante de la personne, de la valeur de la raison, de la liberté, de la démocratie, de l’état de droit et la distinction entre politique et religion » (Jean-Paul II, Ecclesia in Europa, Exhortation apostolique post synodale, 28 juin 2003, n°109).

Oui, donc, l’Europe sera apostate, si elle continue de s’éloigner de ces valeurs fondamentales et universelles, qui ont fait la volonté de sa fondation et qui s’originent dans la foi ! Loin de se focaliser uniquement sur la question des racines chrétiennes, c’est avant tout se rappeler l’anthropologie nécessaire à toute construction humaine : quelle humanité voulons-nous ? Le but de l’Église est en premier lieu d’aider l’Europe à ne faire aucun compromis sur cette loi naturelle et cette anthropologie. Ainsi, les évêques européens, réunis en colloque pour le 50e anniversaire du Traité de Rome en 2007, avaient-ils adressé un message à l’adresse de la construction européenne précisant les points essentiels :

« Nous considérons de notre devoir de poursuivre la construction européenne dans le temps, ayant à l’esprit qu’il s’agit d’une entreprise séculaire. Il a fallu plus de cent ans à nos ancêtres pour construire une cathédrale pour quelques-uns ; en cinquante ans, nous avons bâti une nouvelle « cathédrale » pour tous les Européens… Nous souhaitons que la solution institutionnelle qui sera atteinte sauvegarde la dignité humaine et les valeurs qui en dérivent, comme la liberté religieuse dans toutes ses dimensions, les droits institutionnels des Églises et des communautés religieuses, et qu’elle reconnaisse explicitement l’héritage chrétien de notre continent. C’est en dialoguant sur et pour le bien commun des citoyens que nous contribuerons à une forte cohésion sociale, qui est aujourd’hui si importante et nécessaire à l’Europe…Nous demandons que l’UE soit guidée par les valeurs et les principes qui ont inspiré l’unification européenne depuis ses débuts. Il s’agit de la dignité humaine, l’égalité entre homme et femme, la Paix et la Liberté, la réconciliation et le respect mutuel, la solidarité et la subsidiarité, l’État de Droit, la Justice et la recherche du bien commun … Nous, Chrétiens, nos communautés, nos associations et mouvements contribuerons par notre engagement à soutenir les initiatives qui respectent authentiquement la nature humaine créée à l’image et dans la ressemblance de Dieu, telle que révélées en la personne de Jésus-Christ et qui, dans cette optique, œuvrent de manière authentique en faveur de la réconciliation, de la Paix, de la Liberté, de la solidarité, de la subsidiarité, de la Justice. »

Ce texte est toujours d’actualité !

Père Cédric BURGUN +

Mon billet précédent : Parlez-nous de l’Europe !

1 commentaire pour “Apostasie européenne ?”
  • Choshow
    24 avril 2014 -

    Ce texte, comme le précédent, me laisse songeur…
    Et de fait, certaines distinctions ont tout leur sens. Je suis très jeune, et je manque certainement de recul sur ces questions, mais il me semble que la construction de l’Europe peut passer par d’autres chemins que l’Union Européenne…
    Et quand bien même elle passerait par l’UE, il existe de nombreux chemins que celle-ci puisse emprunter…
    Ainsi, un certain scepticisme sur l’UE n’exclue en aucun cas la possibilité de vouloir une construction européenne, qui se joue à de nombreuses échelles (Etat, régions, villes, personnes…) et par de nombreux acteurs (entreprises, associations…)
    Vouloir l’arrêt, la mise en pause du projet européen tel qu’il est formulé aujourd’hui à Bruxelles, ou vouloir réformer les relations entre Etat (souverains) et UE, doit pouvoir être fait sans tomber dans l’excès d’une certaine forme d’hérésie nationaliste.
    Une redécouverte des valeurs universelles et absolues, un retour à la source, me semble un bon moyen de sortir de cet enfer rose dans lequel on s’enfonce actuellement… et ce n’est pas l’UE telle qu’elle est aujourd’hui qui va nous empêcher de nous embourber dans cette apostasie généralisée…