Parlez-nous de l’Europe !
17 avril, 2014   //   Par :   //   schuman, europe, societe / culture   //   1 commentaire   //   4402 Vues

Texte publié sur le blog du journal La Croix : http://europe.blogs.la-croix.com, ouvert à l’occasion des élections européennes.

Le 25 mai prochain, nous retournerons aux urnes pour élire les prochains députés européens de Strasbourg. On nous parle souvent de l’abstention des électeurs, mais on nous parle trop peu de l’abstention des politiques ! Non pas qu’ils n’iraient pas aux urnes … loin de moi cette pensée. Mais ils s’abstiennent de nous parler de l’Europe ! Et cela, c’est inacceptable et irresponsable. L’Europe, par cette abstention, c’est souvent une critique. L’Europe est souvent une excuse. L’Europe est souvent le responsable facile. Bref, l’Europe est devenue un terme négatif facile à placer. L’Europe est devenue la responsable de tous nos maux. Et la joie de l’Europe ? Et le projet européen ? Et la nécessité européenne ? Au risque de passer pour un sourd, je n’en entends pas parler.

En Moselle, terre adoptive, pour ne pas dire natale, de Robert Schuman, le mot « frontière » a une signification. Les termes « blessure de guerre » ravivent des souvenirs, une mémoire, et non seulement chez les plus anciens, pour une simple raison : les jeunes ont tous entendu, ici, leurs grands-parents leur parler de déportation, de divisions, d’annexions et de rivalités. Dans l’est de la France, on sait encore que l’Europe nous a apporté la paix. Et pour cette raison, on veut pareillement croire en ce projet fou et inouï. Et avoir aujourd’hui un projet européen, c’est déjà se battre contre toutes les idéologies eurosceptiques de droite comme de gauche ! La logique de guerre, les rivalités, ne sont pas qu’un vague souvenir du passé : la paix, toujours fragile, réclame notre engagement du quotidien.

Alors oui, ce propos paraîtra orienté et l’on me taxera volontiers d’européiste convaincu ; pire, de naïf et d’idéologue ! Oui, mon propos est convaincu. Je ne sais que trop bien ce que l’Europe a apporté à nos pays occidentaux installés dans leur confort, les rendant parfois aveugles et ingrats. Souvent, on dit qu’il faudrait « retrouver le sens de l’Europe » comme si nous l’avions perdu. Certes, l’Europe a trahi nombre de ses promesses : par exemple, pour ne pas avoir voulu vivre de ses racines les plus profondes, les plus solides, les plus prometteuses ; pour ne pas protéger les plus petits et les plus faibles parmi nous ; pour ne pas être capable d’une diplomatie digne de ce nom. Mais je veux éviter les raccourcis trop faciles. Comme le disait Vaclav HAVEL : « l’élément tragique pour l’homme moderne n’est pas qu’il ne connaît pas le sens de la vie, mais que ce sens de la vie le dérange de moins en moins ». L’Europe est dans cette tragédie : le sens de la vie la dérange de moins en moins ; il nous dérange de moins en moins. Voilà son drame ; mais voilà aussi sa chance puisque c’est au cœur de nos conversions que l’on retrouve toujours l’énergie nécessaire pour rebondir. L’Europe est, je crois, à ce carrefour de son existence.

Alors, messieurs, mesdames, responsables politiques : en présentant au suffrage prochain, parlez-nous d’Europe ! Parlez-nous de l’Europe ! Redites-nous ce bon mot de Wilson Churchill affirmant qu’ « un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Voulez-vous vraiment nous faire revivre les égoïsmes du passé ?

Le fondement de la construction de l’Europe d’aujourd’hui se trouve dans les mots de Schuman : « il importe que cette idée d’une Europe réconciliée, unie et forte, qu’elle réapprenne après de longs déchirements, la fraternité chrétienne ». Celui qui était l’ennemi d’hier devient celui avec lequel nous allons coopérer, vraiment, efficacement. Et l’Europe réclame aujourd’hui encore cet engagement : ne pas réveiller nos vieilles divisions en accusant régulièrement l’Europe de tous nos maux. Car soyons clairs : en imputant à son voisin les manques d’aujourd’hui, on ne fait pas mieux qu’hier dans les combats d’antan. Ce projet de paix et cette construction européenne ne sont pas une option ; elle n’est d’abord pas le lieu d’une bureaucratie insupportable (même si cela a sa part de vérité) ; elle est d’abord et avant tout une nécessité et un projet dont beaucoup rêvent de par le monde ! Et nous, nous n’en serions plus fiers ?

Schuman est parti de ce qu’il croyait pour agir. Il a voulu faire le bien, et c’est toute la question du sens de ce qu’est devenue l’Union européenne. Elle est déjà une conquête considérable, même si nous reconnaissons évidemment qu’il y a là d’autres aspirations qui ne sont pas encore comblées par elle. Si l’Europe est aujourd’hui une espérance pour les nations et pour les peuples, pour ceux qui y ont trouvé et fait leur place, comment ne pas voir qu’elle est souvent le lieu de la désillusion et de l’hésitation ? Loin d’entrer dans une mentalité émotionnelle – qui est l’apanage de nos sociétés modernes – il nous faut entrer dans une rationalité de l’espérance, comme nous y invite Émile Poulat : « aucune fatalité historique ne préside à la construction de l’Europe – pas plus qu’aux lois de marché – et l’avenir reste largement ouvert, voire imprévisible. En revanche, on peut penser (que l’Europe) est une nécessité à partir du moment où, par un choix politique, une logique de paix l’emporte sur une logique de guerre ».

Alors, parlez-nous de l’Europe, de sa nécessité et de son projet ! Parlez-nous de ce que vous croyez pour cette Europe ! En évitant l’abstention de ces vrais sujets dans vos discours, vous éviterez peut-être l’abstention des urnes. Et là, tout le monde a quelque chose à y gagner …

Père Cédric Burgun

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