François et François
25 janvier, 2014   //   Par :   //   a chaud, interview, societe / culture   //   1 commentaire   //   6245 Vues

La rencontre entre le président François Hollande et le pape Francois était une rencontre difficile à plus d’un titre. Difficile, d’une part, à cause du climat ambiant qui, en France, a été marqué par des débats passionnés où une partie des catholiques engagés (pour ne pas faire de globalisation hâtive) se sont sentis régulièrement attaqués, critiqués – voire insultés – et parfois même de la part de certains membres du pouvoir en place, et relayés ainsi comme des citoyens de seconde zone. Ils attendaient donc de cette rencontre comme une « remontée de bretelle » de la part du Pape au pays, fille aînée de l’Église.

Et d’autre part, difficile aussi parce que le Président de la République, on le sait, n’est pas « attaché » à la foi. De culture chrétienne, il se déclare agnostique et ne s’en cache pas. Cela ne me gêne pas : pourquoi le serait-il ? Chacun a bien le droit de croire ou de ne pas croire. Là n’est pas le problème. Mais il connaît mal la première religion de France (en nombre et dans l’histoire). Il était sans doute, face à cette rencontre, mal à l’aise, inquiet, et quelque peu interloqué. Qu’allait-il voir ? Qu’allait-il entendre ? Qu’allait-on lui dire, dans ce si petit État, mais qui pèse si lourd dans le concert des nations ? Si un pouvoir politique, quel qu’il soit peut, un temps, ignorer les catholiques en son pays, il n’en est pas de même à l’égard de la première diplomatie mondiale. Entendre parler des cathos de France ou se retrouver face au chef de l’Église Catholique, dans son protocole et devant les caméras, ce n’est pas la même chose. La rencontre allait être sensible : il le savait. Comme tout un chacun : il suffit pour s’en convaincre de voir la couverture médiatique de l’évènement.

Un contexte, une supplique et sa légitimité

Il y a eu enfin cette « pétition ». Plus qu’une pétition, c’était une supplique. Des catholiques avaient quelque chose à dire au pape au sujet de cette rencontre. Si j’ai pu regretter quelque peu un manque de forme et de ton, cette initiative est à saluer. Elle répond aux exigences du droit de l’Église que je tiens à rappeler. D’aucuns auront pu s’étonner que des catholiques osent s’adresser au Pape de cette manière. Mais je leur rappellerai simplement que le canon 212 §§2-3 explique que

« §2. Les fidèles ont la liberté de faire connaître aux Pasteurs de l’Église leurs besoins surtout spirituels, ainsi que leurs souhaits. §3. Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent (les fidèles) ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes. »

Dans les sociétés civiles aussi, il existe ce droit naturel de toute personne d’exprimer son opinion. Jean XXIII l’avait clairement exprimé dans Pacem in Terris en 1963 : « tout être humain a un droit naturel, les exigences de l’ordre moral et du bien commun étant sauvegardées, à pouvoir exprimer et diffuser son opinion… et à être informé selon la vérité des événements publics ».

Dans l’Église aussi, nous retrouvons donc ce droit comme l’avait déjà rappelé Pie XII à un Congrès de journalistes : « finalement, nous voudrions encore ajouter un mot relatif à l’opinion publique au sein même de l’Église (naturellement dans les matières laissées à la libre discussion). Il ne peut y avoir à s’en étonner que ceux qui ne connaissent pas l’Église ou la connaissent mal. Car, enfin, elle est un corps vivant et il manquerait quelque chose à sa vie si l’opinion publique lui faisait défaut, défaut dont le blâme retomberait sur les fidèles. » (PIE XII, « Allocution aux participants du congrès international des journalistes catholiques », en 1950).

A la base de cette liberté donnée par notre nature et acquise aussi par le baptême au sein de l’Église, il y a davantage que le droit naturel d’opinion et d’expression : il s’agit du droit des fidèles de participer à la mission de l’Église : ce sensus fidei fidelium dont a parlé le Concile Vatican II avec force. Et Lumen Gentium au n°37a avait établi que, comme tous les fidèles, les laïcs « dans la mesure de leurs connaissances, de leurs compétences et de leur rang, ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Église. Cela doit se faire, le cas échéant, par le moyen des institutions que l’Église a établies pour cela, et toujours dans la sincérité, le courage et la prudence, avec le respect et la charité qu’on doit à ceux qui, en raison de leurs charges sacrées, tiennent la place du Christ ».

Le Concile Vatican II avait donc voulu ce « droit » des fidèles dans l’Église, sans aller aussi loin que le Code actuel : les fidèles pouvaient faire connaître leur opinion aux pasteurs, mais les pères conciliaires n’avaient pas étendu ce droit en direction des autres fidèles. Le canon 212 établit que les fidèles puissent faire connaître ces opinions à l’ensemble des fidèles.

Si, donc, certains catholiques ont été choqués de la manière de faire de cette supplique, rappelons simplement que ses initiateurs n’ont fait qu’obéir à leur conscience, en accord avec le Concile et le droit de l’Église. En conscience, ils ne pouvaient se taire.

Une rencontre délicate

La rencontre entre les deux hommes pouvait donc être tendue. Les visages ont été suffisamment crispés pour s’en rendre compte. Et si un journaliste commentait hier sur une chaine nationale que le pape avait peut-être passé une mauvaise nuit et qu’à son âge c’était possible (sic), la raison est à chercher ailleurs ; bien évidemment ! La rencontre devait être délicate, compliquée. Et cela fut.

À sa sortie, le président a fait valoir, à juste titre, les positions communes de la France et du Saint-Siège, au cours de sa conférence de presse (la vidéo de la Déclaration du président Hollande est en ligne sur le site de l’Elysée, à cette adresse) : « Je suis venu lui dire le respect du peuple français pour son message de paix, de solidarité et de justice », a-t-il déclaré, en parlant du pape François, et à ajouté qu’il est venu « saluer la simplicité rayonnante qui marque les premiers mois de son pontificat ».

Et il est vrai que, en évoquant les graves questions de la pauvreté et des risques pour l’environnement, on ne peut que souligner les convergences qui existent depuis fort longtemps entre le Vatican et la France, et leurs actions communes et complémentaires, notamment au sein d’instances internationales. On peut parler, par exemple, des questions de migrations et des réfugiés où il serait largement souhaitable qu’une « réponse appropriée de l’Europe et de la communauté internationale » soit à l’ordre du jour, tout comme les questions liées à la mondialisation et ses excès, qui font de l’homme une marchandise comme une autre ! On ne peut que saluer l’engagement dû à ce sujet !

Sur la Syrie, on a pu noter l’évolution de la position française. En septembre dernier, il y avait une vraie différence de point de vue : le président Hollande appelait à une solution militaire et de son côté, le pape organisait une grande veillée de prière pour éviter la solution militaire. Hier, François Hollande exposait sa préférence pour une « solution politique » en Syrie. Il a aussi affirmé sa volonté d’une solution négociée entre Israël et les Palestiniens, évoquant ainsi le prochain voyage du pape, en mai.

Le président a évoqué aussi « l’attachement de la France (à la) protection lieux saints » et à la garantie dans les négociations du « libre accès aux lieux saints », en parlant notamment des chrétiens d’Orient, qui étaient les grands oubliés de la diplomatie française dans les crises que traversent le Proche-Orient. François Hollande a affirmé clairement que la France restait « mobilisée pour que les chrétiens restent là où ils ont toujours été depuis des siècles » sans prendre pas le chemin de l’exil à cause des conflits (en Syrie, en Irak et au Liban, notamment). Là aussi, évolution notable du discours officiel français.

Il a évoqué enfin les questions environnementales et climatiques, si chères au pape Francois qui a décidé d’en faire une marque de fabrique de son pontificat, et qui écrit un ouvrage sur la question. Régulièrement, dans son discours officiel, la question de la nature et de l’environnement revient.

Concernant enfin d’autres sujets, le président a évoqué la laïcité : « La France, c’est la patrie des Droits de l’homme. La laïcité garantit le respect de toutes les convictions et permet de vivre ensemble avec les mêmes règles pour tous les citoyens ». Il a affirmé, concernant la liberté religieuse : « La France défend partout la liberté religieuse », « c’est la patrie des droits de l’homme, de la liberté de conscience, de conviction, de la liberté religieuse » ; en exposant la détermination de la France pour lutter contre « tous les actes antireligieux » qui peuvent être commis dans des lieux de culte.

Sans évoquer les questions difficiles, le Président a rappelé qu’une valeur rassemblait encore le Saint-Siège et le gouvernement français, qui est la dignité humaine. Certes, mais cela vaut la peine de se demander les critères d’approches. Et là, nous ne pouvons que reconnaître les différences malgré la volonté de réunir du Président. Nous avons eu depuis un an de graves débats sur la conception de la personne humaine : avouons qu’à ce niveau de nos débats en France, nous n’en sommes plus à parler de choix de vie, de mariage ou de non-mariage. C’est bien de la conception de la personne humaine dont il s’agit. Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ? A partir de quel moment doit-on les protéger ? Nous voyons, dans un débat comme celui de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) que nous ne mettons pas sous le mot « dignité » la même chose (et je vous invite à lire ce bel article sur le site du journal Le Monde, ici, à ce sujet : l’avortement, une épreuve vécue sans légèreté ni regret). Pour les uns, cela passe par un droit absolu pour la femme de disposer de son corps (et sans se demander les conséquences d’un tel acte) ; pour les autres, la dignité humaine passera nécessairement par le respect de toute vie, de sa conception à sa mort naturelle.

Un communiqué du Vatican clair et précis

Et c’est pourquoi le Communiqué de presse du Saint-Siège est particulièrement éclairante :

« Ce matin le Saint-Père François a reçu en audience le Président de la République française, Son Excellence Monsieur François Hollande, qui a ensuite rencontré Son Excellence Mgr Pietro Parolin, Secrétaire d’État de Sa Sainteté, et Son Excellence Mgr Dominique Mamberti, Secrétaire pour les Relations avec les États. Au cours des entretiens cordiaux, la contribution de la religion au bien commun a été évoquée. Rappelant les bonnes relations qui existent entre la France et le Saint-Siège, a été réaffirmé l’engagement mutuel à maintenir un dialogue régulier entre l’État et l’Église catholique et à coopérer de manière constructive dans les questions d’intérêt commun. Dans le contexte de la défense et de la promotion de la dignité de la personne humaine, quelques arguments d’actualité ont été examinés, comme la famille, la bioéthique, le respect des communautés religieuses et la protection des lieux de culte. La conversation s’est poursuivie sur des thèmes à caractère international, comme la pauvreté et le développement, les migrations et l’environnement. Elle s’est étendue, en particulier, sur les conflits au Moyen-Orient et dans quelques régions de l’Afrique, en souhaitant que dans les différents pays concernés la coexistence sociale pacifique puisse être rétablie à travers le dialogue et la participation de toutes les composantes de la société, dans le respect des droits de tous, spécialement des minorités ethniques et religieuses. »

Alors que le discours officiel français pouvait laisser penser que les « sujets » n’avaient pas été abordés, le communiqué est précis : les religions doivent coopérer à la recherche du bien commun. Non les chrétiens ne sont pas des citoyens de seconde zone et doivent apporter à la société leur point de vue, paisiblement et tranquillement. Questions autour de la famille, de la bioéthique, et le respect des lieux de culte. Combien cette question a choqué en France, notamment après les irruptions des Femen dans nos églises.

Pour ma part, je suis soulagé de savoir que toutes ces questions ont été clairement posées sur la table lors de ces échanges, et c’est ce que j’ai exposé sur BFM (et que je laisse en conclusion ici). 

 Père Cédric 

1 commentaire pour “François et François”
  • Un chrétien
    7 février 2014 -

    Hollande qui vient de tomber en dessous de 20% de confiance de la part des Français a pourtant choisi des ministres tels que Vincent Peillon (« On ne pourra jamais construire un pays de liberté avec le Catholicisme ») et Manuel Valls décrit comme « proche » de Caroline Fourest qui protège les FEMEN, à l’origine des profanations dans les églises (La Madeleine en décembre, Saint Odile en janvier…)

    Mon père, votre texte aurait pu être plus incisif, quant à la volonté de cet homme de respecter un minimum les catholiques français. Pour l’instant on ne voit rien venir, voyage auprès du Saint Père ou pas.