Qu’est-ce qu’une préparation au mariage ?
17 janvier, 2014   //   Par :   //   eglise, droit canonique, societe / culture   //   3 commentaires   //   7959 Vues

La sortie récente du livre « Et si on se mariait ? » que j’ai coécrit avec Bénédicte Lucereau, conseillère conjugale (voir l’article précédent sur mon blog à ce sujet) donne  l’occasion de  poser cette question : pour vous, qu’est-ce qu’une préparation au mariage ?

On pourrait se permettre, sur cette question, un petit détour par la formation des prêtres. Le document de Jean-Paul II, Pastores dabo vobis, qui donne un bon nombre d’indications sur celle-ci lui donne quatre axes : formation humaine, formation spirituelle, formation intellectuelle et enfin, formation pastorale. Et je crois profondément que ces quatre mêmes axes  peuvent être appliqués à la formation au mariage, convaincu que cette dernière appelle aujourd’hui un rééquilibrage nécessaire et salvateur.

Certes, dans nos paroisses, nous rejoignons ceux qui demandent une célébration du mariage. Mais tous les autres ? Il me semble important de rejoindre aussi bon nombre de couples, concubins ou non, ayant ou non le désir du mariage. Bien souvent, ils gardent au fond d’eux-mêmes cette question de l’engagement sans savoir y répondre. Aujourd’hui, la plupart des couples accueillis sont pour concubins (comme plus de 98% des fiancés). Or, le concubinage ne prépare pas nécessairement au mariage et ne signifie pas automatiquement « maturité de couple » : pour s’en convaincre, il suffit de regarder le nombre de divorces qui interviennent rapidement après un mariage qui suit une longue période de concubinage.

C’est pourquoi la préparation au mariage en tant que telle doit être comprise comme une école de la vie conjugale, et non pas seulement une préparation à un sacrement. Par sa forme et sa pédagogie, elle doit être particulièrement attentive aux personnes qui n’ont pas forcément de projet ou qui ne savent pas comment y répondre, pour faire de cet accueil des couples une véritable école de « discernement » et un chemin d’espérance. Beaucoup, proches de l’Église ou non, attendent, de notre part, un discours sur ce qu’ils vivent et sur ce qu’il est possible de vivre. Beaucoup attendent d’être resitués dans une espérance de l’engagement, tellement celui-ci est mis à mal aujourd’hui. Parfois, je me dis que cette génération a besoin d’espérer en l’engagement ! Un jeune fiancé me témoignait encore récemment qu’aucun couple dans sa famille et son entourage n’avait « tenu » et qu’il portait en lui cette question, comme une conséquence : « suis-je enfermé dans cette spirale « divorcialiste » ? » ; « suis-je condamné à divorcer moi aussi ou peut-on m’aider à retrouver confiance ? » ; « suis-je capable, moi, de tenir dans cet engagement que je désire ? »

Une préparation équilibrée

La préparation au mariage et l’accompagnement de couples doivent faire le point sur la connaissance théorique du mariage. C’est la dimension intellectuelle : « c’est quoi se marier ? C’est quoi se marier à l’église ? » Les topos doivent être le lieu d’un enseignement à la fois théorique et pratique : montrer les richesses et la vérité de la vie de couple en ses joies, mais aussi ses peines, et surtout comment on les dépasse ! Les enseignements, loin d’être uniquement théoriques, devront faire naître de véritables discussions au sein des couples qui bien souvent reconnaissent ne pas évoquer bon nombre de sujets entre eux.

On le voit, aujourd’hui, les préparations au mariage apportent bien ce contenu théorique (appelons cela la dimension intellectuelle), mais les fiancés oublie souvent l’aspect de discernement et d’accompagnement : je dois non seulement comprendre ce qu’engage le mariage, mais aussi si je serai capable de vivre cet engagement.

Cette connaissance théorique du mariage passera donc par ce discernement précis : est-ce que cet engagement au mariage peut tenir avec le conjoint donné ? On trouve ici la dimension humaine : dans beaucoup de problèmes de couples, ce n’est pas la connaissance théorique du mariage qui pose problème (beaucoup savent à quoi cela les engage), mais bien la relation interpersonnelle qui est blessée. Par exemple, si Damien se marie avec Claire, cela ne l’engage pas tout à fait de la même manière que s’il se mariait avec Audrey puisque cette relation ne pourra jamais être totalement identique ! C’est dans ce discernement concret là qu’il faut véritablement cheminer. Et le Code de Droit Canonique parle bien, dans son institution matrimoniale, de la « capacité » à contracter mariage (humaine, psychologique) ; et le dossier administratif que signera le prêtre responsable de la préparation parle de son discernement quant aux « éléments apparemment contraires à la maturité » qui pourraient empêcher le mariage et qu’il certifie ne pas avoir rencontrés.

Il doit donc y avoir un accompagnement réel dans la préparation au mariage pour lui permettre d’être une véritable école de discernement. Aujourd’hui, nous le savons bien : trois soirs ne suffisent plus, dans le contexte sociétal où nous sommes, à préparer 50 ans de vie conjugale ! Réaliser positivement que l’on pourra vivre ensemble et fidèlement en prenant les moyens ; ou se rendre compte que l’on n’est pas encore prêt à faire ce pas du mariage et que l’on doit éventuellement différer un projet de mariage : voilà le but réel et ultime d’une préparation. Beaucoup de couples qui arrivent en simples concubins peuvent réaliser par là que l’engagement est possible et qu’ils ont les capacités de tenir, contrairement à tout ce qu’on leur raconte ! Le divorce ne sera jamais une fatalité et une normalité. Ils peuvent ressortir de cette préparation, si on leur en donne les moyens, avec des capacités renouvelées ou guéries, et retrouver une certaine espérance de l’engagement. Ne serait-ce pas cela le but profond d’un véritable accompagnement vers le mariage ?

Il faudra aussi la dimension spirituelle qui se trouvera déjà dans une véritable expérience d’Église. Les animateurs de la préparation au mariage, prêtres et laïcs ensemble, ne seront pas uniquement dans un rôle d’enseignant ou d’organisateur d’une activité, mais vivront avec ces couples de fiancés une réelle vie fraternelle, pour permettre à ces couples de sentir accueillis, rejoints, en Église, là où ils en sont, sans « douane paroissiale » (j’aime beaucoup cette expression) comme le disait encore récemment le pape François.

Des temps de prière simple et joyeux pourront rythmer ce parcours, conscients que pour beaucoup, la prière est une grande inconnue. L’occasion peut être donnée, dans la préparation au mariage, de renouer avec une certaine pratique, sans pour autant faire le forcing ! Si le but premier d’une préparation était de les faire pratiquer le dimanche, alors les jeunes fiancés ne se sentiraient pas rejoints dans leur attente et leurs questionnements ! Où en sont-ils de leur foi et de leurs questionnements ? Le temps est nécessaire pour bien connaître les fiancés, et savoir les rejoindre dans leurs attentes profondes.

Certaines thématiques pourront être l’occasion d’un témoignage plus approfondi de la foi et s’appuieront sur elle : le pardon, l’anthropologie homme / femme (aujourd’hui si mise à mal), la prière, le sacrement du mariage. Comment est-ce que la foi imprègne ces domaines et la relation conjugale ? Comment lui permettra-t-elle de grandir et de s’épanouir ? Là aussi, il y a bien plus que le seul aspect théorique des choses.

Pour ce qui est de la dimension pastorale, elle se vivra tout simplement dans l’accompagnement vécu simplement. Le don d’eux-mêmes dans le mariage portera son fruit, inévitablement. Les couples doivent aussi comprendre que leur vie matrimoniale ne pourra pas se vivre seule, mais devra être soutenue d’une manière ou d’une autre ; en Église, et / ou auprès de notre monde et des plus pauvres. Ce soutien de la vie de couple passera, paradoxalement peut-être, en se mettant eux-mêmes en service auprès d’autres et non pas en restant centré sur leur vie et leur confort.

Qu’est-ce qu’une préparation au mariage si ce n’est préparer à la vie conjugale ?

J’observe parfois plusieurs déséquilibres dans les préparations au mariage : certains se réduisent à une préparation catéchétique ou simplement liturgique de la célébration. On insisterait alors sur la dimension spirituelle au détriment de la formation humaine et du discernement conjugal. D’autres encore tourneront quasi exclusivement autour de sujets comme la sexualité, et bien souvent de manière moraliste, malheureusement.

J’ai pourtant acquis une conviction : nos familles sont blessées et les jeunes que nous accueillons le sont tout autant. Les générations actuelles sont comme en attente de ce que l’Église a à dire positivement notre humanité, en proposant aussi d’aider dans ce qu’il y a de moins beau. Beaucoup de jeunes, blessés en leur éducation, ne croient plus en leur capacité d’engagement ! Ils sont, pourrait-on dire, cette « génération crise » qui n’a connu que des périodes de crises économiques successives. Pour eux, le monde est en crise, depuis leur naissance. Tout modèle est remis en question au vu des résultats qu’ils en ont vus. On leur parle du mariage, oui, mais ils ont dans l’idée que les mariages se finissent nécessairement par un divorce (malgré les statistiques contraires). Pour eux, toute difficulté sera vécue assez vite comme une crise impliquant un changement inéluctable. Et puisqu’ils sont véritablement capables de vivre de belles choses, puisqu’ils gardent au fond de même ce désir de vérité et d’absolu, il faut donc leur réapprendre non pas à changer dans la crise, mais à savoir la dépasser. Ils attendent ce témoignage de l’Église, et non seulement de belles théories.

Combien de jeunes couples restent en concubinage, parce qu’incapables de prendre une décision d’engagement ? La plupart des jeunes vivent « en couple » avant un éventuel mariage dont ils ne connaissent plus la nécessité anthropologique. Et quand l’enfant arrive avant le mariage, il « enchaîne » bien souvent les parents dans un choix qu’ils n’ont pas fait au fond d’eux-mêmes et pour lequel ils n’ont pas été préparés.

La connaissance intellectuelle ne suffit donc plus. Il ne suffit pas de connaître l’engagement. Encore faut-il être capable de s’engager avec toutes les dimensions de son être. Or, nous faisons régulièrement ce constat, en équipe de préparation, que les fiancés peuvent être en attente de ce contenu intellectuel, mais passer à côté de l’aspect essentiel de la préparation humaine, anthropologique, et relationnelle. Donner ou « redonner » à ces jeunes le sens relation conjugale : telle est l’enjeu de la préparation au mariage.

Et cela ne sera possible qu’à travers un cheminement qui prend du temps, surtout si l’on veut mettre cette relation sous le regard de Dieu. L’accompagnement à la vie conjugale et la préparation au mariage pourra être le lieu d’une véritable maturation, mais trois ou quatre soirs ne suffiront plus ni à « faire connaissance », ni à conduire dans une vraie proximité qui permettra des échanges en profondeur et en vérité, les confidences aussi sur leur histoire, ni à donner le contenu nécessaire à une préparation au mariage qui répondent aux véritables enjeux d’aujourd’hui et de demain, pour accueillir aussi la grâce que Dieu veut leur faire. La nécessité d’avoir des familles solides pour répondre aux défis de l’Église et de la société n’est pas seulement une possibilité, mais une nécessité.

L’Église possède, je le crois vraiment, cette expérience humaine et spirituelle sur la vie conjugale qu’aucune autre institution ne peut proposer. C’est pourquoi l’enjeu est de taille. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui, dans notre contexte social. Et ce sera encore plus vrai dans quelques années : comment tous ces jeunes éduqués dans le relativisme ambiant, à la théorie du gender, entreront-ils dans une relation interpersonnelle et sexuée si essentielle à toute vie matrimoniale ? Quelle institution pourra proposer un chemin éducatif sur ces aspects pour promouvoir un mariage réel, dans sa réalité indissoluble ? Espérer annoncer le mariage indissoluble passera par les moyens de « former », en toutes ces dimensions, les jeunes à vivre ce mariage.

Père Cédric BURGUN

 Et pour mémoire, une petite interview donnée à KTO en novembre 2013 sur ce sujet :

3 commentaires pour “Qu’est-ce qu’une préparation au mariage ?”
  • garandeau
    17 janvier 2014 -

    Juste un petit commentaire, en tant que parent . Et si on s’attelait à la tâche pour dire à nos jeunes que la vie est belle ? Et si on leur disait sans détour qu’ils perdent leur temps en cherchant à gagner toujours plus ? Et si l’Eglise offrait un vrai visage de joie et de miséricorde ? J’ai tellement d’exemples de « leçons de morale » …à des jeunes qui essaient de vivre au milieu de notre morosité , tout simplement.

    • Maia
      24 janvier 2014 -

      Bien d’accord avec vous !!! Il me semble que de toute façon, on ne peut donner l’espérance dans une vie de couple sans divorce sans expliquer que chercher à gagner toujours plus est l’une des raisons importantes de cette explosion de divorces, et qu’aucun couple ne peut durer sans que chacun veille à ne pas se laisser envahir par le travail, à ne pas privilégier unilatéralement la recherche d’argent, …

      L’occasion de dire aussi que la pauvreté est souvent une conséquence de la séparation, mais aussi une de ses causes. J’admire les couples qui tiennent le coup quand chaque fin de mois est difficile, quand l’emploi est morcelé, qu’il faut toujours dire « non » aux enfants (même pour des choses qui sont loin du caprice…), qu’on se sait jamais de quoi demain sera fait… Nombreux sont ceux qui finissent par craquer, et ceux aussi qui finissent par ne plus partager d’intimité tant le quotidien est devenu lourd…

      Je prie pour eux, tous, ceux qui ont « tout » et qui doivent trouver l’équilibre, ceux qui n’ont « rien » et qui doivent trouver la force….

  • Maia
    23 janvier 2014 -

    Merci pour ce très bel article. Que faites vous (conseillez-vous) lorsque vous avez affaire à des couples qui sont là par obligation, qui refuseront de venir plus de trois fois et qui se replient sur eux mêmes ou tombent des nues dès qu’il s’agit d’approfondir un peu, que ce soit côté foi ou côté vie conjugale? C’est, hélas, ce qu’ont vécu des proches lors des réunions CPM, et la source de renoncement à une certaine exigence de la part d’amis animateurs CPM.
    Vous est-il arrivé de refuser de célébrer le mariage, ou de ne pas donner l’attestation de suivi de préparation?

    Question bonus : vous parlez du « gender » : comment rejoindre vraiment les couples pour qui l’égalité hommes-femmes est un acquis, et dont le couple fonctionne en mode égalitariste avec une répartition des rôles négociée entre eux et pas forcément « classique »? Que dire aux futures épouses que vous accueillez et qui n’ont pas toutes envie d’une vie de famille « traditionnelle » et qui se battent au quotidien pour que leur futur mari partage les tâches ménagères 50/50, prenne ses jours de congé enfant malade … etc? Est-ce que vous leur dites que cette attente n’est pas légitime? On peut être catholique et pour autant souhaiter vivre dans un couple non stéréotypé…