Interview au Figaro (6 octobre 2014) sur le Synode
Je publie ici, avec l’aimable accord de son auteur,
l’article-interview que Jean-Marie Guénois a eu la gentillesse de publier
dans l’édition du Figaro du 6 octobre 2014 au sujet du Synode des évêques
qui s’est ouvert à Rome sur le thème de la famille.
« Les couples vivent dans l’ignorance de ce que l’Église demande »
Alors que le Pape ouvre un synode sur la famille, ce prêtre diplômé de droit canonique estime qu’ «avant de changer les règles du mariage, il faudrait plutôt réfléchir à la façon dont l’Église transmet son message sur le mariage».
« Dans un premier temps, je n’attends rien du synode sur la famille sinon un sérieux état des lieux de ce qui se passe vraiment au cœur de l’humanité. » Cédric Burgun (1), 35 ans, est certes un jeune prêtre, mais il sait déjà de quoi il parle. Prêtre du diocèse de Metz, enseignant et doctorant à l’Institut catholique de Paris, il officie à la paroisse Saint-Nicolas-des-Champs à Paris, où il prépare des jeunes au mariage. Mais ce diplômé de droit canonique est aussi l’un des juges ecclésiastiques pour l’Île-de-France. Il tranche donc des demandes de nullité de mariage sollicitées par des couples après des divorces civils.
Le père Burgun travaille ainsi aux deux bouts de la chaîne… du mariage et du divorce. Sans oublier les couples mariés qu’il «accompagne» dans son ministère: « La plupart vont très bien, je vous l’assure! On finirait par oublier qu’il y a des couples et des familles heureuses ! » Cet optimiste tempéré regarde toutefois le synode sur la famille avec une certaine circonspection: « Je ne suis pas contre le changement, précise-t-il, mais avant de changer les règles du mariage, il faudrait plutôt réfléchir à la façon dont l’Église transmet son message sur le mariage, car je constate que les jeunes que je prépare à ce sacrement ou les adultes qui demandent la reconnaissance de la nullité de leur mariage vivent dans une grande ignorance de ce que l’Église demande. »
Pour porter un tel diagnostic, ce prêtre de la communauté de l’Emmanuel, très à l’aise avec sa vocation, ne nourrit aucune nostalgie d’une chrétienté idéale. « L’appel de Dieu », il l’a ressenti à l’âge de 8 ans lors de sa première communion. Il décida alors d’aller chaque dimanche à la messe dans la ville de Metz où il grandissait. Mais seul… car personne dans sa famille ne pratiquait à l’époque. Le regard du non-croyant sur l’Église, il connaît… et de l’intérieur, d’où un réalisme certain.
« On n’a pas pris la mesure, assure-t-il, de l’influence culturelle profonde sur les jeunes exercée par l’esprit 68, la question du genre, mais aussi les questions liées à la sexualité. Les jeunes arrivent au mariage – plus de 90 % d’entre eux n’ont pas été catéchisés – avec une vision anthropologique qui n’a strictement rien à voir avec celle de l’Église. Les choses évoluant très vite, le décalage est immense. Une étude récente indiquait que 80 % des jeunes de 14 ans accèdent à la pornographie sur Internet, ce n’est pas le meilleur moyen de se préparer au respect de l’autre et à la fidélité! L’Église, avant de changer sa doctrine, doit donc se confronter à cette réalité-là pour savoir comment vivent les gens et comment leur répondre pour ensuite trouver la bonne pédagogie de sa belle et riche vision sur le mariage. Elle doit partir du réel mais sans se laisser piéger par la mentalité ambiante. »
L’Église ne doit pas perdre de vue sa vocation à être le signe de la beauté de l’idéal chrétien du mariage pour la société
Plutôt que réformer, ce jeune prêtre entend donc expliquer, enseigner, former les jeunes qui souhaitent « passer à l’Église » sans en connaître les exigences. Former aussi les prêtres eux-mêmes, qui reçoivent peu au séminaire à ce sujet, « ce qui conduit à des comportements ou laxistes ou rigoristes ». D’autant que ce pasteur ne voit pas, en praticien, comment les pistes de réformes annoncées pourraient améliorer la situation des divorcés remariés. Simplifier les procédures d’annulation de mariage? « La procédure est certes longue, mais nous sommes débordés dans les tribunaux ecclésiastiques faute de personnels suffisants ». Sans compter, prévient-il, qu’alléger les procédures d’annulation pourrait être perçu «comme une facilitation du divorce», une sorte de divorce catholique de fait qui ne voudrait pas dire son nom.
Les autres pistes portées par le cardinal Kasper et qui font tant débat ne lui paraissent pas davantage praticables car elles reviendraient notamment, estime-t-il, à «montrer du doigt» les divorcés remariés, qui devraient en quelque sorte passer par une sorte de purgatoire, un « temps de pénitence » au sein de la communauté paroissiale avant d’être reconnus dignes de communier.
Sa préconisation? « On se focalise sur la communion des divorcés remariés qui n’y ont pas accès parce qu’ils ne peuvent pas se confesser, mais dans beaucoup de paroisses les gens ne se confessent plus et vont toutefois communier, ce que nous font remarquer, à juste titre, les divorcés remariés… Il faut donc élargir la question au sens même de la vie chrétienne et pas seulement à la messe. Ce n’est pas en abaissant l’exigence du message que l’on élève la société. L’Église ne doit pas perdre de vue sa vocation à être le signe de la beauté de l’idéal chrétien du mariage pour la société, qui est fondé non sur l’interdit mais sur l’amour humain vraiment vécu et donné à l’autre pour la vie. »
Jean-Marie Guénois, pour le Figaro.
(1) Auteur, avec Bénédicte Lucerau, d’«Et si on se mariait?» Éditions de l’Emmanuel.
Marilys
13 octobre 2014 -
Bonjour, vos propos me semblent justes: les personnes qui demandent un mariage à l’Eglise savent ils à quoi ils s’engagent?Nous avons besoin d’être accompagnés vers cette démarche;un discernement est nécessaire, ce n’est pas parce qu’on demande un mariage à l’Eglise qu’il faut l’accorder les yeux fermés! Avec le recul, j’aurai aimé qu’on m’aide à discerner, qu’on m’explique pourquoi la différence d’âge avec mon futur mari pose un problème; j’aurai aimé qu’on m’aide à discerner des éventuelles failles qui auraient pu remettre ma décision en question; en quoi les circonstances de notre rencontre ne suffisaient pas à justifier notre décision. Je voudrais dire aux prêtres de ne pas avoir peur de mettre les choses à plat, de prendre le temps de poser un discernement…merci pour vos interventions.